« La plus grande mobilisation depuis 2011 » : en Israël, les manifestations monstres vont-elles marquer un tournant dans la guerre ?
Plus de 500 000 personnes ont investi les rues israéliennes, dimanche et lundi, après la découverte d’autres corps d’otages à Gaza. Mais l’opinion, de plus en plus critique vis-à-vis du gouvernement Netanyahou, ne l’est pas forcément en ce qui concerne la guerre d’occupation.
L’horreur sera-t-elle stoppée de l’intérieur ? Ces derniers jours, un mouvement de protestation contre le gouvernement israélien, incapable de libérer les otages et d’arrêter les massacres à Gaza, essaime dans plusieurs villes d’Israël, et pas des moindres.
À Tel-Aviv, l’aéroport Ben Gourion était fermé ce lundi 2 septembre, comme certains services publics et commerces privés d’Haïfa ou de Jérusalem. Même s’il n’a généralement pas été suivi, l’appel à la « grève générale » a bel et bien été lancé par la Histadrout, la principale confédération syndicale d’Israël, relayé par le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, et le Forum des familles d’otages et de personnes disparues, créé après le 7 octobre 2023.
C’est justement la découverte de six nouveaux otages décédés, ce dimanche 1er septembre, qui a ravivé la colère des Israéliens, las de voir les leur revenir ainsi de la bande de Gaza. Un énième échec imputé à leur premier ministre, prisonnier de sa folie meurtrière et de plus en plus seul sur la scène diplomatique. Malgré cela, le mouvement de grève a été freiné par l’opposition du tribunal du travail de Tel-Aviv, sous la pression du ministre extrémiste des Finances, Bezalel Smotrich.
« Les enfants sont des enfants, qu’ils soient arabes ou juifs », chante-t-on à Jérusalem
Mais le gouvernement est impuissant à museler son peuple : à mesure que la nouvelle s’est propagée, des rassemblements ont été organisés le 1er septembre, regroupant un demi-million de personnes dans tout le pays. Comme à Jérusalem où l’on chantait : « Les enfants sont des enfants, qu’ils soient arabes ou juifs » et où des jeunes se sont massés devant le domicile de Benyamin Netanyahou avant d’être dispersés par la police et l’armée.
Ou à Tel-Aviv, où les étudiants et les professeurs de l’Institut Weizmann, parmi lesquels le père d’un otage, ont investi dès le matin le quartier de Rehovot, au sud de la ville côtière. Le soir, des centaines de personnes ont bloqué l’autoroute d’Ayalon, en plein centre, pour réclamer le retour des otages restants, le cessez-le-feu, et demander des comptes au gouvernement d’extrême droite.
« La seule manière de sauver les otages restants et d’arrêter le massacre et la destruction à Gaza et en Cisjordanie occupée est un accord de cessez-le-feu, a rappelé le Parti communiste israélien (PCI) dans un communiqué. Netanyahou agit depuis des mois pour empêcher un tel accord (…), c’est évident pour tous. »
Ces derniers jours, les rassemblements menés par les jeunes se sont multipliés, et la tenue de nouvelles élections fait aussi partie de leurs revendications. Mais la police israélienne a réprimé ces révoltes : à Tel-Aviv, plusieurs personnes ont été arrêtées. L’une d’entre elles, la sœur d’un otage, a été frappée et conduite à l’hôpital.
Ce lundi 2 septembre, le soufflé n’est pas retombé. De nombreuses villes du pays comptent leur cortège de protestations. Plusieurs gares sont paralysées. Tel-Aviv continue de voir des manifestants bloquer Ayalon et emplir les fourgons de la police. À Jérusalem, le dangereux extrémiste Itamar Ben-Gvir, ministre de la Sécurité nationale, en a profité pour s’adresser aux manifestants du Forum des familles d’otages : « Vous nous donnez de la force. Continuez de crier et nous nous assurerons que Netanyahou ne plie pas et qu’il n’y ait pas d’accord irréfléchi. »
« C’est un tournant très important »
« Il y a eu de grandes manifestations contre le gouvernement, ou pour les otages, que je ne me rappelle pas avoir vu en temps de guerre », témoigne l’analyste politique Dahlia Scheindlin auprès du magazine israélo-palestinien + 972. S’il n’en connaît pas encore les conséquences possibles, Efraïm Davidi, du comité central du PCI, considère lui aussi que ce soulèvement « est un tournant très important, la plus grande mobilisation depuis 2011 ».
« Le gouvernement est isolé », observe-t-il, conscient des critiques que le régime de Benyamin Netanyahou a essuyé ces derniers mois, bien avant l’attaque du 7 octobre. Le premier ministre israélien s’est parfaitement adapté à l’autoritarisme de l’extrême droite sioniste depuis qu’il a dû intégrer au gouvernement ses représentants pour remporter les législatives de novembre 2022.
Quelques mois plus tard, la population foulait le pavé contre la réforme judiciaire liberticide de l’exécutif, pour l’une des plus grandes mobilisations de l’histoire du pays. L’attaque du Hamas, dans le sud du pays, n’a rien arrangé. Tout en lançant un massacre discontinu dans la bande de Gaza, qui a tué plus de 40 786 personnes, le chef du gouvernement israélien a fait sauter quelques fusibles de l’armée israélienne pour rester en place. Il a même concentré un peu plus son pouvoir en réunissant autour de lui un « cabinet de guerre » de cinq personnes, dissous en juin dernier après les démissions de Benny Gantz et Gadi Eizenkot.
« Quasiment tous les juifs israéliens veulent détruire le Hamas, mais plus de la moitié des Israéliens considèrent que Netanyahou prolonge la campagne militaire pour rester au pouvoir, analyse Dahlia Scheindlin. Cela veut-il dire qu’ils souhaitent vraiment la fin de la guerre ? Pas exactement. »
Car l’ampleur de la colère des manifestants ne doit pas masquer leurs revendications réelles. Outre le retour des otages et la démission de leur premier ministre, le cessez-le-feu réclamé par les Israéliens ne remet généralement pas en cause la colonisation de la Palestine. Cette dernière ne connaît d’ailleurs pas de trêve, en témoignent les bulldozers qui rasent en ce moment les rues de Jénine ou de Jéricho, en Cisjordanie occupée, ou les obus qui ravagent encore et toujours Gaza.
Fin mai dernier, une enquête du Pew Research Center démontrait que 73 % des sondés pensaient que la réponse d’Israël à l’attaque du 7 octobre était « globalement bonne » ou « pas assez forte », et 40 % d’entre eux souhaitaient qu’Israël gouverne la bande de Gaza. Quant aux sondages électoraux, de plus en plus soutiennent que Benyamin Netanyahou pourrait remporter un prochain scrutin.
Le premier ministre israélien commence pourtant à échauder son principal allié états-unien. Lundi après-midi, à la Maison-Blanche, Joe Biden a affirmé qu’un accord de cessez-le-feu était « très proche » lors d’une conférence de presse. Lorsqu’un journaliste lui a demandé si Netanyahou en faisait assez pour le conclure, le président américain a tout simplement répondu : « Non. »
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