Comment Elon Musk et ses « DOGE kids » secouent l’État américain sans garde-fou

Aux premiers jours de Facebook, Mark Zuckerberg résumait ainsi son principe cardinal : « Move fast and break things. » « Si vous ne cassez rien, c’est que vous n’allez pas assez vite », expliquait-il aux investisseurs avant de se lancer en Bourse. A la tête du département de l’Efficacité gouvernementale (DOGE), Elon Musk ne casse pas : il pulvérise.

Entouré d’une jeune garde de collaborateurs et d’ingénieurs ? pour certains à peine sortis de l’université ?, l’homme le plus riche du monde a commencé sa chasse à la bureaucratie et au gaspillage. Liquidation annoncée de l’Agence pour le développement international, tentative de prise de contrôle du carnet de chèques du Trésor, pression sur les employés fédéraux? Musk s’abat sur Washington comme un ouragan de force 5. Les démocrates dénoncent une montagne de conflits d’intérêts et l’accusent de mettre à mal la Constitution.

Qu’est-ce que le DOGE ?

Malgré son nom, le Département de l’Efficacité gouvernementale n’est pas un département exécutif officiel des États-Unis, avec des nominations qui auraient nécessité l’aval, et un droit de regard, du Congrès. Il s’agit d’une organisation temporaire avec, en théorie, un rôle consultatif. La Maison-Blanche a clarifié mardi qu’Elon Musk bénéficiait du statut « d’employé gouvernemental spécial », sous lequel il peut au maximum travailler 130 jours par an. Selon CNN, il a pu obtenir une habilitation de sécurité « top secret » malgré sa consommation passée revendiquée de cannabis et de kétamine.

Le DOGE vient remplacer l’ancien United States Digital Service, qui était chargé de la transition numérique de l’administration américaine, et a repris ses bureaux dans le Bâtiment du bureau exécutif Eisenhower. Elon Musk n’a qu’à traverser la rue pour se rendre dans le Bureau ovale. Le Trésor est à moins de 5 minutes à pied, de l’autre côté des jardins de la Maison-Blanche. Elon Musk s’est fixé comme objectif de trouver entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars de coupes ? soit entre 15 et 30 % du budget des États-Unis (6 750 milliards).

Qui compose la garde rapprochée de Musk ?

Donald Trump et Elon Musk entretiennent le flou sur les effectifs de l’organisation. Selon le décret présidentiel, chacune des agences du gouvernement fédéral doit accueillir une équipe DOGE composée de quatre personnes : un responsable, un ingénieur, un spécialiste RH et un avocat.

À LIRE AUSSI La méthode Musk pour « rendre son efficacité » à l’AmériqueComme il l’a fait lors de la restructuration de Twitter/X, l’homme le plus riche du monde s’est entouré de lieutenants particulièrement jeunes : le magazine Wired a identifié une demi-douzaine d’ingénieurs âgés de 19 à 25 ans, pour la plupart passés par l’une des six entreprises de Musk ou ayant des liens avec le milliardaire libertarien Peter Thiel. Le patron de Tesla a fait installer des lits pour qu’ils puissent dormir au bureau et travailler, assure-t-il, 120 heures par semaine ? soit 17 heures par jour, 7 jours sur 7. Ce qu’il appelle, selon son biographe Walter Isaacson, le « demon mode ».

Selon Wired, le plus jeune des « DOGE kids » a 19 ans. Edward Coristine a fait un stage de trois mois chez Neuralink, la société d’Elon Musk qui développe des implants cérébraux, et a arrêté l’université pour rejoindre le département de l’Efficacité gouvernementale. Gavin Kliger, 25 ans, ancien stagiaire de Twitter (avant l’ère Musk), qui porte fièrement une casquette rouge « MAGA » (Make America Great Again) sur son profil X désormais effacé, est « conseiller spécial » auprès du directeur de l’Office of Personnel Management (OPM), qui gère les effectifs du gouvernement. Selon le New York Times, c’est lui qui a envoyé l’e-mail avertissant les employés de l’Agence pour le développement international (USAID) de ne pas venir au bureau. Musk a également installé des proches plus expérimentés à l’OPM, notamment Amanda Scales (passée par xAI) et Riccardo Biasini (ex-ingénieur de Tesla).

Où en est le plan de départ volontaire ?

Le 28 janvier, les 2,3 millions d’employés fédéraux ont reçu un e-mail intitulé « Fork in the road » (« bifurcation »). Musk avait employé cette formule après son rachat de Twitter. L’OMP propose un plan de départ volontaire, promettant de payer ceux qui l’accepteraient jusqu’en septembre. Alors que l’offre devait expirer à 23 h 59 ce jeudi, un juge a suspendu l’ultimatum pour au moins quatre jours ? un recours sur la légalité de la procédure doit être examiné lundi. Entre 40 000 et 60 000 employés fédéraux ? moins de 2 % ? ont pour l’instant accepté. Une goutte d’eau, alors que la masse salariale totale des employés de l’État représente moins de 4 % du budget américain.

À LIRE AUSSI Trump joue à « Risk », pas au « Monopoly »Shannon Liss-Riordan, une avocate représentant 2 000 anciens salariés de Twitter, affirme à la radio publique NPR qu’Elon Musk avait promis des indemnités généreuses aux employés démissionnaires avant de faire machine arrière. Et rien ne garantit que l’État disposera des fonds nécessaires : la dernière rallonge budgétaire adoptée au Congrès ne court que jusqu’au 14 mars, avec le spectre d’un « shutdown » si aucun accord n’est trouvé d’ici là.

L’Agence pour le développement international est-elle fermée ?

Techniquement non, mais c’est tout comme : selon Reuters, l’administration Trump ne va conserver que 290 employés sur les 10 000 que comptait l’agence USAID, qualifiée « d’organisation criminelle » par Elon Musk, dans le monde, dont seulement 12 pour Afrique et 8 pour l’Asie.

À ce stade, on ignore quelle part des 40 milliards de dollars d’aide humanitaire annuelle que l’agence administrait sera reprise par le département d’État, alors que Donald Trump a signé un décret mettant en pause l’aide étrangère pour trois mois, le temps de passer les programmes en revue.

Le DOGE a-t-il pris le contrôle du système de paiement du Trésor ?

Le Bureau of the Fiscal Service est une division méconnue du Trésor à l’importance capitale : c’est elle qui contrôle le chéquier de l’Oncle Sam. Le BFS est chargé de distribuer 90 % du budget de l’État, soit environ 5 000 milliards de dollars, notamment les pensions de retraite, la santé des séniors et des bas revenus ainsi que les enveloppes de tous les ministères et autres agences gouvernementales.

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Mercredi, le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a assuré que l’accès accordé au DOGE lui permettait de regarder les paiements, mais pas d’y toucher. Selon des e-mails obtenus par le New York Times, ce n’est pas faute d’avoir essayé : un lieutenant de Musk, Tom Krause, a demandé un accès pour pouvoir bloquer les versements à l’USAID. Un haut responsable du Trésor a refusé malgré des menaces à peine voilées. Jeudi, le Trésor a été contraint de restreindre l’accès du DOGE à ses systèmes sur ordre d’un juge, le temps qu’une plainte de syndicats soit examinée.

Il ne s’agit pas que des paiements. Selon le Washington Post, des agents du DOGE ont accédé à des données confidentielles concernant des millions d’employés fédéraux, qui sont notamment passées à la moulinette par des systèmes d’intelligence artificielle à la recherche de coupes.

Pourquoi les démocrates sonnent-ils l’alarme ?

Les manifestations se multiplient à Washington, mais aussi devant les Capitoles des États américains. « DOGE n’est pas une véritable agence gouvernementale et n’a pas l’autorité pour fermer des programmes fédéraux ou prendre des décisions sur les dépenses », a dénoncé le chef des démocrates au Sénat. Pour Chuck Schumer, « ce groupe secret non élu » s’apparente à « un gouvernement de l’ombre ».

À LIRE AUSSI Les institutions américaines survivront-elles à Trump ?« Démanteler des organismes administratifs établis par le Congrès, comme l’USAID, constitue la violation la plus flagrante de la loi et du principe de séparation des pouvoirs », confie au Point Blake Emerson, professeur de droit à l’université UCLA. Selon lui, « prendre le contrôle des paiements du Trésor serait la mesure la plus préoccupante ».

En théorie, note Chris Edelson, professeur de sciences politiques à l’université de Washington, « le Congrès pourrait agir pour contrôler Musk et Trump mais les républicains n’en ont pas l’intention ». Les démocrates, eux, sont limités à des enquêtes parlementaires. Les actions en justice ? d’employés fédéraux, de syndicats et d’ONG ? se multiplient, mais elles prendront du temps. En attendant, Donald Trump et Elon Musk testent les limites du système.

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