“Marges de vérité »: Quel verdict pour l’ancien président ?

Ce 14 mai, la République se confrontera à l’un de ses instants les plus critiques, suspendue au verdict que la Cour d’appel de Nouakchott rendra dans le dossier de la décennie. Une affaire d’État devenue, au fil des mois, un laboratoire des tensions entre la légalité constitutionnelle, la dynamique du procès pénal ordinaire et les équilibres politiques d’une transition post-régime.
Les derniers mots de l’ancien président, prononcés lors de son ultime comparution, n’ont rien d’une supplique. Ils relèvent d’un positionnement stratégique lucide, où se mêlent dénonciation, défi juridique et refus de l’abdication. Aziz ne s’adresse pas seulement aux juges : il interpelle l’architecture même de l’État. Il rappelle, en s’appuyant sur l’article 93 de la Constitution et sur le rapport 09/24 du Conseil constitutionnel, que seule la Haute Cour de justice serait habilitée à connaître des faits qui lui sont reprochés. En cela, il transforme l’audience finale en plaidoirie de principe, en réquisitoire indirect contre ce qu’il considère comme une justice dévoyée par les impératifs politiques de son successeur.
Cette ligne de défense, que d’aucuns qualifient de doctrine du « privilège de juridiction », remet au centre du débat la question des immunités présidentielles et du champ d’action des juridictions ordinaires. À travers ce discours, Aziz ne plaide pas l’erreur ou l’excuse : il affirme son innocence non pas par la négation des faits, mais par l’affirmation d’une illégitimité procédurale. Ce choix est à la fois radical et cohérent : il refuse le procès lui-même.
La portée de cette posture ne saurait être mésestimée. Dans les cercles intellectuels et juridiques les plus aguerris, on perçoit le geste comme une mise à l’épreuve de l’ensemble du système normatif mauritanien. Peut-on juger un ancien chef d’État pour des actes considérés comme liés à l’exercice du pouvoir, sans activer les mécanismes spécifiques prévus par la Constitution ? Cette question, loin d’être secondaire, conditionne la validité symbolique du verdict à venir.
Autour de cette question juridique gravite une autre, plus souterraine : celle du moment politique. Car si la société mauritanienne, dans sa majorité, attend le jugement avec calme et retenue, les partisans de l’ancien président, eux, ont érigé le 14 mai en jour d’histoire. Ils n’attendent pas un verdict, ils attendent une reconnaissance — soit de l’injustice dont se dirait victime leur champion, soit de la consistance d’un État de droit capable de sanctionner les puissants selon des règles impartiales.
Mais cette attente n’est pas forcément celle du tumulte. Elle est marquée par une patience presque glaciale, nourrie de méfiance et d’anticipation. Elle ne s’exprime pas dans les rues mais dans les silences : ceux des anciens réseaux d’influence, ceux d’un appareil politique en mutation, ceux d’une société qui sait que ce jugement, quel qu’il soit, fera date.
Car au-delà des peines éventuelles, des biens confisqués ou des acquittements partiels, ce que le pays retiendra, c’est si la justice a parlé au nom de la Constitution ou au nom du moment. Et c’est là que réside toute l’ambiguïté d’un procès où l’ancien président a brûlé toutes ses cartouches. En niant la compétence de la juridiction, il a retiré toute légitimité à une éventuelle condamnation, comme à une éventuelle grâce. Il s’est volontairement exclu du champ de la négociation politique.
Rien ne sera plus comme avant, quelle que soit l’issue. Car le 14 mai ne sera pas simplement la fin d’un procès : ce sera la clôture d’un cycle historique. Celui d’un homme qui a dominé la scène pendant plus d’une décennie, et qui, jusqu’au dernier instant, aura tenté de réécrire le récit de sa chute en récit de droit.
Chronique de Mohamed Echriv Echriv

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Back to top button