Marche mondiale vers Gaza : les citoyen·nes agissent face à l’inaction des États

Une centaine de Canadien·nes s’apprêtent à marcher depuis l’Égypte vers Gaza pour demander la levée du blocus et l’entrée massive de l’aide humanitaire.
Demain, une centaine de Canadien·nes rejoindront des milliers de civil·es venu·es du monde entier pour marcher de l’Égypte vers Gaza en solidarité avec le peuple palestinien. La délégation canadienne souhaite sensibiliser la population et faire pression sur le gouvernement du Canada pour qu’il contribue à mettre fin au génocide immédiatement. Ce mouvement, largement soutenu par la société civile, n’a cependant pas reçu l’appui des autorités.
Dans la semaine à venir, une centaine de Canadien·nes devraient répondre à l’appel d’une initiative internationale de solidarité avec le peuple palestinien, en marchant depuis l’Égypte jusqu’à Gaza aux côtés de milliers de participant·es venu·es de plus de 60 pays.
Selon les informations publiées sur le site de la Marche vers Gaza, les participant·es du monde entier se rassembleront au Caire le 12 juin, puis se rendront le lendemain en autobus à El-Arich, point de départ de la marche de 48 km.
Selon le scénario idéal, les participant·es marcheront pendant deux ou trois jours pour arriver au point de passage de Rafah, le plus important passage de l’aide humanitaire, fermé depuis mai 2024, et y camperont pour un autre trois jours, avant de reprendre la route vers Le Caire.
Les organisateur·trices soulignent qu’il s’agit d’un mouvement pacifique. « Nous ne forcerons aucune barrière, aucune frontière. Notre objectif est de négocier l’ouverture du terminal de Rafah avec les autorités égyptiennes, en collaboration avec les ONG, les diplomates et les organisations humanitaires », peut-on lire sur le site du mouvement.
« La marche porte trois revendications claires et urgentes : la levée immédiate du blocus sur Gaza, l’ouverture des frontières et l’entrée massive de l’aide humanitaire, ainsi que la fin des complicités internationales qui rendent ce génocide possible », a déclaré Baya El Hachemi, membre du collectif montréalais Palestine Vivra, lors d’une conférence de presse tenue à Montréal jeudi dernier.
Inaction et complicité des gouvernements
Pour les participant·es, cette marche sera non seulement une pression internationale sur l’État d’Israël, mais également un message à leurs gouvernements respectifs.
Jeudi dernier, les organisatrices de la délégation canadienne présentes à la conférence de presse ont souligné que l’initiative est née de l’inaction des gouvernements occidentaux face à un génocide qui dure depuis 20 mois
« Ce génocide est commis en notre nom, avec notre argent, nos lois et notre silence. Nous refusons d’être complices, nous refusons d’avoir du sang aussi sur les mains. »
Le 19 mai, dans une déclaration commune, le Canada, le Royaume-Uni et la France ont condamné l’intensification des opérations militaires israéliennes et l’expansion des colonies illégales en Cisjordanie, menaçant de prendre des « mesures concrètes », y compris des « sanctions ciblées ». Les États ont notamment demandé à Israël de mettre fin à son offensive à Gaza et de lever immédiatement les restrictions entourant l’aide humanitaire.
Mardi matin, la ministre canadienne des Affaires étrangères Anita Anand a annoncé des sanctions visant deux ministres israéliens d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, pour incitation à la violence contre les Palestinien·nes en Cisjordanie.
Il s’agit des seules mesures concrètes prises par le Canada depuis son récent durcissement de ton.
« Cela répond à ce qui se passe en Cisjordanie, mais aucune sanction n’a été prise concernant le génocide en cours à Gaza », a critiqué la députée néo-démocrate Heather McPherson lors d’une conférence de presse concernant la Marche vers Gaza, tenue sur la colline du Parlement le même jour.
« On s’attend à ce que le gouvernement respecte le droit international et sanctionne toutes les personnes responsables du génocide auquel on assiste, y compris [le premier ministre israélien Benyamin] Netanyahou. On réclame cela depuis 18 mois. Donc, même si on salue le fait que le gouvernement ait enfin posé ce geste, c’est trop peu et trop tard », a-t-elle dénoncé.
Les militant·es soulignent que le Canada a le pouvoir d’agir pour mettre fin au génocide en cours, notamment en imposant un véritable embargo total sur les échanges d’armes avec Israël.
« Ce génocide est commis en notre nom, avec notre argent, nos lois et notre silence. Nous refusons d’être complices, nous refusons d’avoir du sang aussi sur les mains », s’indigne Baya El Hachemi.

Une action risquée
Cette action, qui s’approche du cœur de la zone de guerre, comporte des risques majeurs : les participant·es en sont tou·tes conscient·es.
Dimanche dernier, les douze militant·es à bord du voilier Madleen – une initiative internationale de la Flottille de la liberté visant à briser le blocus de Gaza et à y acheminer de l’aide humanitaire – ont été intercepté·es par l’armée israélienne dans les eaux internationales. Huit militant·es sont toujours détenu·es en Israël, refusant de signer un document qui les contraindrait à reconnaître être entré·es illégalement dans le pays.
Rappelons qu’en 2010, une autre flottille avec près de 700 volontaires à bord, avait été attaquée par l’armée israélienne, faisant dix morts parmi les militant·es.
« Cette marche est un acte d’amour et de courage, un cri de cœur pour réveiller les consciences. »
« Une équipe juridique composée d’avocats spécialisés en droit international est mobilisée pour anticiper tous les scénarios », peut-on lire sur le site de la Marche vers Gaza.
Un des plus importants moyens d’assurer la sécurité des marcheur·euses est d’avoir la protection diplomatique de leurs gouvernements respectifs ainsi que la collaboration des autorités égyptiennes.
Les organisateur·trices de la délégation canadienne ont cherché l’appui de la ministre des Affaires étrangères, mais n’ont pas eu de réponse.
En conférence de presse mardi, aux côtés d’Heather McPherson, le député néo-démocrate Alexandre Boulerice et la députée libérale Salma Zahid ont exhorté Affaires mondiales Canada à faire pression sur le gouvernement égyptien afin d’assurer le passage sécuritaire des marcheur·euses venu·es du Canada et du monde entier.
« La sécurité et la stabilité de notre population sont très importantes pour nous », a répondu la ministre des Affaires étrangères, Anita Anand, à une journaliste, à la sortie de la réunion hebdomadaire du cabinet fédéral mardi. « Nous surveillons la situation et nous continuons de pousser pour la libération de tous les otages, mais aussi pour la nourriture et l’aide humanitaire pour Gaza. »
Les organisateur·trices de la marche soulignent que la visibilité est un autre élément important qui protègerait les marcheur·euses.
« Ceux qui restent ici ont un rôle primordial à jouer », dit Colombe Dimet, infirmière participant à la marche, en entrevue avec Pivot. « Il pourrait nous arriver n’importe quoi. Ceux qui vont rester ici vont être les garants de notre sécurité et vont pouvoir faire pression sur nos gouvernements. »
Solidarité internationale
« La Palestine aujourd’hui représente un test pour notre humanité collective », a soutenu Zahia El Masri, militante montréalaise d’origine palestinienne, en conférence de presse jeudi dernier. « Cette marche est un acte d’amour et de courage, un cri de cœur pour réveiller les consciences. »
La délégation canadienne rassemble des syndicalistes, des activistes, des professionnel·les de la santé, des enseignant·es, des étudiant·es et d’autres membres de la société civile.
« En tant qu’infirmière, c’est insupportable de voir le système de santé complètement anéanti à Gaza », déplore Colombe Dimet. « On se doit de porter cette voix et d’exprimer notre solidarité », une valeur fondamentale dans sa profession, selon elle.
« C’est aussi pour lancer un message d’espoir, y compris à mes enfants, et dire que l’humanité et la solidarité existent encore, que ces mots ont encore un sens aujourd’hui », confie cette mère.
Selon Manuel Tapial, membre de Palestine Vivra et un des organisateur·trices de la délégation canadienne, près de 700 personnes venant des quatre coins du pays se sont portées volontaires, mais pour des considérations de sécurité et de logistique, il a dû en refuser la plupart, a-t-il expliqué en conférence de presse mardi.
La Marche vers Gaza n’est qu’un des récents mouvements mondiaux parmi d’autres visant à briser le blocus de Gaza et faire entrer de l’aide humanitaire. « Et ce ne sera pas le dernier », a affirmé Manuel Tapial.
La Caravane Al-Soumoud, un convoi d’une centaine de véhicules avec environ 1500 personnes à bord – un chiffre qui s’accroît au fil du trajet –, a pris la route vers Rafah depuis l’Algérie et la Tunisie et devrait rejoindre la marche le 12 juin.
Par Biffant Sun est journaliste spécialisée dans les enjeux de racisme et d’anti-racisme pour Pivot.