Nigeria : mort de Muhammadu Buhari, ancien putschiste devenu président élu

Il s’était juré de « redonner au Nigeria sa fierté et sa discipline ». Muhammadu Buhari, ancien président de la République fédérale du Nigeria, est mort dimanche à Londres à l’âge de 81 ans, des suites d’une longue maladie, selon un communiqué officiel de la présidence. Militaire rigide devenu civil par stratégie, autoritaire assumé reconverti en démocrate par nécessité, le général-président aura marqué, de manière plus tranchée que nuancée, l’histoire politique du géant ouest-africain.
Les hommages officiels se sont multipliés après l’annonce de sa disparition. Son successeur, Bola Tinubu, a salué « un patriote, un soldat, un homme d’État dans l’âme », tout en annonçant l’envoi du vice-président pour rapatrier le corps de Londres. Le président sierra-léonais Julius Maada Bio s’est dit « profondément attristé » et a exprimé sa solidarité avec le peuple nigérian. De son côté, Umaro Sissoco Embaló, président de Guinée-Bissau, a rendu hommage à « un grand homme d’État, un père pour moi », appelant chacun à prier pour le repos de son âme. Mais les réactions sont aussi plus nuancées. « Sa mort suscite de la tristesse chez certains, de la désillusion chez d’autres », commente le politologue nigérian Afolabi Adekaiyaoja, qui y voit le reflet d’un homme resté incapable d’unifier un pays profondément divisé.
Né en 1943 à Daura, dans le nord musulman du Nigeria, Buhari n’a jamais vraiment quitté les casernes, même en costume trois pièces. De son enfance modeste au sein d’une fratrie de 24 enfants jusqu’à son dernier mandat présidentiel achevé en 2023, sa vie s’est confondue avec l’histoire heurtée du Nigeria indépendant, entre putschs militaires, pétrole et religion.
Car Buhari, c’est d’abord une trajectoire de fer dans un État vacillant. Lieutenant lors du coup d’État de 1966, officier durant la guerre du Biafra (1967-1970), il participe en 1975 au renversement du général Gowon, puis devient lui-même chef de l’État après le coup d’État de 1983. Il a alors 41 ans. L’expérience est brève, brutale et fondatrice : en vingt mois, il impose une guerre à la corruption d’une rigueur extrême, renvoie les fonctionnaires non ponctuels, traîne ses opposants devant des tribunaux spéciaux. Et jette même en prison Fela Kuti, l’icône de l’afrobeat, musicien de génie et trublion politique, dont les chansons fustigent les militaires et dénoncent la corruption. Symbole d’une contre-culture libre et insoumise, Fela paie le prix fort pour avoir défié le pouvoir. Il qualifiera plus tard Buhari « d’animal à peau humaine ». Le style Buhari, déjà brutal, s’affirme.
Un général converti à la démocratie
« La discipline n’est pas un luxe mais une nécessité », répétait-il alors, en lançant sa fameuse War Against Indiscipline. Pour beaucoup de Nigérians, Buhari reste cette figure d’un père autoritaire, redouté plus qu’aimé. Un homme de principes, au prix parfois de l’impopularité. « Nous devons apprendre à vivre avec moins », disait-il encore en refusant les plans d’ajustement structurel du FMI, préférant le rationnement au diktat des bailleurs. Le naira est dévalué, les importations restreintes, le Nigeria se replie sur lui-même.
Mais le militaire ne survivra pas longtemps aux militaires : en 1985, le général Babangida le renverse à son tour et l’enferme pendant près de trois ans. L’homme ressort diminué, mais pas résigné. Il entre en politique civile à la faveur de la démocratisation post-1999. Trois échecs à la présidentielle (2003, 2007, 2011), puis une victoire historique en 2015 face au président sortant Goodluck Jonathan. Une première depuis le retour au multipartisme : un pouvoir battu dans les urnes, un symbole fort.
Il a alors 72 ans, et se présente comme un « converti de la démocratie », selon les mots de Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature. Fini le treillis kaki, place aux costumes sobres, aux prières collectives et aux discours d’apaisement. Il promet la fin de Boko Haram, la lutte contre les détournements et l’intégrité présidentielle. Mais l’homme n’a pas changé : austère, peu loquace, parfois maladif. Son absence prolongée à Londres pour raisons médicales alimente les rumeurs d’un pouvoir fantôme, tenu par une garde nordiste et militaro-religieuse.
Le « buharisme » devient pourtant un marqueur de cette décennie. Un mélange de nationalisme économique, de conservatisme moral et de populisme à poigne. « Le changement est devenu une nécessité pour mettre fin au désordre économique de ce pays et à la crise de confiance du peuple avec ses leaders corrompus », martelait-il dès 1984, et encore lors de son retour au pouvoir civil. Un discours devenu leitmotiv, au risque de l’usure.
Mais les promesses s’émoussent, et les réalités s’imposent. Malgré quelques victoires militaires ponctuelles, Boko Haram poursuit ses attaques dans le Nord-Est. L’enlèvement de plus de 270 lycéennes à Chibok, en 2014, puis d’autres rapt massifs dans les années suivantes, symbolisent l’impuissance de l’État à protéger ses citoyens, malgré les engagements martiaux du président. L’insécurité gagne les régions rurales, les bandes armées se multiplient, les tensions entre communautés s’aggravent.
Buhari laisse un Nigeria fracturé et une démocratie fragile
Son bilan, lui, reste contrasté. L’économie tourne à vide, malgré la manne pétrolière. Le chômage des jeunes explose, les inégalités persistent, la corruption se reconfigure plutôt qu’elle ne recule. Si ses partisans saluent une figure intègre, ses détracteurs dénoncent un président absent, autoritaire et dépassé. Quant au Nord, dont il est issu, il s’embrase régulièrement sous les coups de Boko Haram, des bandits de grand chemin ou de tensions religieuses, sans que Buhari ne parvienne à inverser la tendance. Une décennie perdue, murmurent ses critiques.
Buhari n’a jamais été un tribun, ni un réformateur flamboyant. Général d’un autre temps, il s’abritait derrière une morale d’acier, plus enclin à imposer l’ordre qu’à bâtir le consensus. La fin de son mandat en est l’illustration la plus crue : inflation galopante, pénurie de carburant, violences policières. Et surtout, cette colère portée par une jeunesse excédée, cristallisée dans le mouvement #EndSARS, devenu le cri d’une génération contre l’impunité et la vie chère. Des dizaines de jeunes tués à Lagos, Abuja ou Kano. Et un président mutique face à la rue. Comme une boucle qui se referme.
Son successeur, Bola Tinubu, hérite en 2023 d’un pays exténué, divisé, mais résilient. Un Nigeria encore sur le fil, où la démocratie tient plus de la prouesse que de l’évidence. L’héritage de Buhari ? Un État fracturé, une jeunesse en rupture, mais aussi un pays qui, malgré tout, a appris à faire chuter ses idoles par les urnes.
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