Réponse ouverte à la Ministre de l’Environnement et du Développement Durable en Mauritanie

Excellence Madame la Ministre, j’ai suivi avec attention votre intervention sur France 24, lors de l’émission spéciale COP27 : le Climat et l’Afrique : quel avenir pour les ressources naturelles du continent ?
https://fb.watch/gMwHoFtUWN/

J’ai trouvé vos réponses – aux questions posées par la journaliste sur le phénomène de la rareté du poisson en Mauritanie et sur le projet d’extraction du Gaz, Grande Tortue Ahmeyine – assez peu convaincantes pour la représentante du principal département régulateur de la gestion de nos ressources naturelles …. ces ressources qui sont la base de l’économie de subsistance et de revenu à la grande majorité de nos populations – et qui sont tous deux très vulnérables (l’économie et les populations).
Affirmer que la rareté du poisson en Mauritanie est la conséquence des changements climatiques – en omettant de citer aussi la part de responsabilité des changements sociaux et des changements économiques – qui ont développé, en des temps records, des modèles d’exploitation non tenables, non soutenables et peu durables de nos ressources naturelles – est un terrible raccourci !
Un raccourci qui ne peut être interprété que par une méconnaissance ou une mauvaise appréciation des terribles impacts, ou des lacunes du système de gouvernance – des activités économiques essentiellement responsables de la dégradation de nos écosystèmes et donc de nos ressources renouvelables : comme notamment, la surexploitation des stocks de poissons, les pressions croissantes de la pêche industrielle, des transports maritimes, des industries minières, aurifères, gazières et pétrolières, la mauvaise gestion des déchets ainsi que celle des grands projets d’infrastructures.
Et lorsque la journaliste vous pose la question concernant l’exploitation du Gaz Naturel, vous noyez le poisson dans l’eau et vous proposez même comme solution résiliente à la crise que connait le secteur de la pêche en Mauritanie, l’extraction de cette énergie fossile non renouvelable – en la déclarant comme une énergie moins polluante, qui va servir de levier à la production d’une énergie propre – l’hydrogène vert – est un autre raccourci beaucoup plus naïf.
Vous expliquez que puisque nous avons des énergies fossiles, nous devons absolument les exploiter ! Comme si nous n’avons pas le choix d’exploiter d’autres énergies largement plus disponibles, plus accessibles, réellement plus propres, moins couteuses en terme d’investissements humains et financiers et surtout, surtout, entièrement renouvelables : le soleil, le vent, le sable, l’eau.
Madame la Ministre, sachez qu’en 2018, la Mauritanie était déjà arrivée à un mix énergétique renouvelable de 38% en exploitant moins de 10% de son énorme potentiel renouvelable !
Qu’est ce qui nous a poussé à faire ce brusque virage vers le fossile, pour lequel nous ne sommes pas du tout préparé et pour lequel nous prenons les risques de perdre à jamais toutes nos autres ressources renouvelables indispensables ?
C’est comme si, vous nous expliquez, au milieu du désert, que vous choisissez de boire l’eau minérale naturelle, en sortant de votre glacière, une petite bouteille qui vient d’Europe, au lieu de boire l’eau fraîche qui coule d’une source de montagne que vous pouvez directement cueillir avec vos mains….
… parque ce que l’eau de cette petite bouteille, est meilleure pour la santé, comparée au soda, car elle est 100% naturelle !
… en occultant les faits, que pour transporter et stocker cette eau, il a fallu toute une technologie (que nous ne maîtrisons pas), pour produire un contenant, dérivé du pétrole, qui va potentiellement empoisonner notre corps à travers les microplastiques, invisibles à l’oeil nu, que nous pouvons ingurgiter, soit à travers cette eau « naturelle », soit à travers les aliments puisés des sols, des rivières ou des océans – que les particules de cette petite bouteille vont contaminer – pendant quelques dizaines d’années – une fois que vous l’aurez jeté dans la nature.
Excellence, Madame la Ministre,
Savez-vous que pour détecter ce gaz – dit naturel – qui pollue moins que le pétrole – il a fallu organiser quelques centaines de campagnes sismiques – durant plus de cinq années – sur tout la longueur et la largeur des 234.000 km carré du domaine maritime mauritanien ?
Savez-vous que pour bâtir les infrastructures indispensables pour l’exploitation de ce gaz naturel, les travaux sur terre et en mer, sont en cours depuis 2019 ?
Savez-vous, que pendant deux années, 250 camions ont effectué des rotations en permanence, sur une distance de 275 km, entre Nouakchott et Akjoujt, tous les jours, 24h/24h, pour déplacer 2,5 millions de tonnes de matériaux de carrière – vers une plateforme de 17 hectares (construite au sein du Port de Nouakchott exprès pour cette mission) – qui ont été ensuite transportés, par un navire spécialisé (qui a effectué pendant 7 mois, 67 voyages) vers le hub du GTA, qui se trouve à 10km de la réserve de Biosphère Transfrontalière du Delta du Sénégal, qui abrite 3 sites classés zones humides d’importance internationale ?
Savez-vous, …. que ces 2,5 millions de tonnes de pierres sont déposées, sur 33 mètres de profondeur, pour servir de base aux 21 caissons en béton venant du Sénégal…. que chacun de ces caissons, pèse 16.500 tonnes, mesure 54m de long, 28m de large et 32 m de hauteur… et qu’après une traversée de 120 miles, chaque caisson est rempli d’eau de mer et de sable pour atteindre les 74.525 tonnes nécessaires pour briser les lames autour de la digue de 1.150 mètres, destinée à protéger la jetée d’amarrage de l’unité flottante de production de gaz naturel liquéfié et qui sert aussi de jetée d’accostage aux navires méthaniers qui viendront charger le gaz tant attendu.…
Savez-vous, que le gaz qui arrivera à cette unité, est acheminé par 3.500 mètres de pipeline, du FPSO (unité de production, de stockage et de déchargement) situé à 8.000 mètres du champ de production qui compte (dans cette 1ère phase seulement) 12 puits qui forent à 2.850m dans les entrailles de la terre ?
… et que tout ce dispositif peut exploser à chaque instant !
Madame la Ministre,
Je vous épargne toute les étapes de la phase d’exploitation qui durera une trentaine d’années (au moins) – et qui produira en plus du gaz naturel, des eaux de refroidissements, des eaux de ballast, des eaux de production … dont les déversements chroniques – autorisés par nos régulateurs locaux – auront comme impact minimal, selon les scientifiques, le dérèglement du système endocrinien chez les mâles (allant jusqu’à l’infertilité). Ce phénomène se fait par la contamination aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAPs), bio-accumulée de la chaine alimentaire et il a déjà été constaté dans la zone du Fleuve Sénégal.
… et ce n’est pas tout !
Le Grand Projet Grande Tortue Ahmeyine (GTA) produira, en plus du Gaz, du pétrole super raffiné – mais aussi des déchets solides et liquides industriels en plus des déchets urbains de la « ville-plateforme », érigée en pleine mer, qui sera habitée par les quelques milliers d’ouvriers permanents du projet – sans oublier les centaines de navires vraquiers et méthaniers qui viendront grossir le traffic des quelques 849 navires déjà abonnés aux ports du pays.
Et une fois ce stock de Gaz naturel épuisé, car bien évidemment, il n’est pas renouvelable, on doit penser à démanteler toutes ces infrastructures, à reboucher tous les puits, correctement, si bien sûr, nous avons eu la chance d’échapper aux accidents, aux fuites, aux erreurs, au laxisme, au bakchich, aux sabotages, aux coups d’états, aux orages, aux tsunamis, …
Madame la Ministre de l’Environnement et du Développement Durable,
Imaginez-vous l’empreinte carbone, physique, chimique, biologique, atmosphérique, écologique, sociale, économique …. de toute cette chaine de destruction massive des écosystèmes marins d’une exceptionnelle rareté – mise en oeuvre pour extraire ce Gaz – presque inoffensif et tellement nécessaire – qu’il nous faut absolument exploiter – (selon vos propos) – pour sortir la Mauritanie (avec moins de cinq millions d’habitants) de la grande misère pathologique qu’ils subissent à cause des Changements Climatiques ?
Vous affirmez aussi que la manne du gaz naturel servira à investir dans la production de l’hydrogène vert … un autre gaz qui est obtenu grâce à des procédés industriels extrêmement polluants, mais qui aspire à devenir vert, selon les experts, en convertissant l’électricité nécessaire pour son extraction, qui va passer de l’électricité produite par les énergies fossiles (pétrole et charbon) vers celles produites par l’éolien … un peu comme l’histoire de la petite bouteille de plastique ….
Mais, en attendant de découvrir des solutions miracles de transport vert et de matériaux verts pour construire des parcs d’éoliennes neutres en carbone, dans des déserts et des océans stérilisés de toute forme de biodiversité, je vous implore, Madame la Ministre, de concentrer vos efforts sur la préservation de nos acquis avant de suivre les sirènes des marchands de dollars….
Je vous invite vivement, à visiter les magnifiques sanctuaires, d’une biodiversité, exceptionnelle, unique au monde, qui existent en Mauritanie, de vrais puits carbone, qui offrent de vraies solutions aux Changements Climatiques, gratuites, durables, renouvelables et qui offrent généreusement leurs indispensables services éco-systémiques à notre alimentation, notre santé, notre économie, notre spiritualité, notre éducation, notre innovation …
Savez-vous, qu’avec les 1.200.000 m2 du Parc National du Banc d’Arguin (à titre d’exemple), nous captons déjà 11% de nos émissions de gaz à effet de serre ? … que le PNBA, qui sert de véritable laboratoire scientifique à ciel ouvert, accueille quelques 2 millions d’oiseaux migrateurs chaque année ? Que ces oiseaux contribuent à la richesse de la qualité de nos herbiers et nos vasières, à la santé de notre océan, et que grâce à cette abondance renouvelable, la Mauritanie nourrit plus de 75 pays de la planète en produits de la mer ?
Dépêchez-vous, Excellence, et surtout n’hésitez pas à inviter aussi son Excellence Monsieur le Président de la République, à venir découvrir ce magnifique patrimoine (vraiment) naturel avant qu’il ne disparaisse, victime de de notre boulimie énergétique, car j’ai bien l’impression qu’il ignore totalement l’existence de ces capitaux naturels, vu qu’ils ne sont jamais cités dans ses discours.
Et pour finir, je reste convaincue que la solution aux Changements Climatiques est justement d’arrêter de vouloir changer systématiquement de modèle de production ou de consommation, sans re-passer par la case de départ : vouloir changer nos modes de réflexion pour retrouver notre vraie place dans cet univers.

Meimouna Mint Saleck
La Citoyenne Lambda.

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