Affaire Aziz : Un procès sans précédent !
Remarques de bon acabit, les mauritaniens ont déjà inauguré, sur les plateformes sociales, le procès de l’ancien président, Mohamed Ould Abdel Aziz. Les espoirs des uns et des autres dans cette affaire ont visiblement donné de l’eau au moulin à cette «expertise» intéressée. Le “prétoire électronique” est déjà en ébullition.
Le principe de base en droit est que « toute personne a droit d’être jugée par un juge indépendant et impartial, dans le cadre d’un procès équitable». Qu’elle est aussi présumée innocente jusqu’à l’établissement de sa culpabilité (article 13 Constitution). C’est la rhétorique théorique.
A écouter certaines interventions sur les plateformes sociales, on se croirait dans l’enceinte d’une audience de Justice où ne manqueraient que les juges pour distribuer la parole à ces collectifs d’avocats improvisés. Chacun se lance dans ses plaidoiries selon ses arrières pensées politiques. Un back-ground où s’affrontent finalement deux thèses diamétralement opposées entre soutiens et adversaires: pour les uns « l’ex-président Aziz est innocent » et pour les autres « l’ex-président Aziz est coupable». Des réquisitoires s’improvisent bénévolement pour ne pas passer inaperçus dans ce déferlement de «connaissances» légales. Du million de poètes, nous en sommes –du fait du procès- presque à quatre millions de juristes.
Pour étayer leurs querelles idéologiques, nos apprentis-avocats n’hésitent pas à tout interpréter comme de véritables praticiens. De la constitution de la Commission d’Enquête Parlementaire, à la légitimité de la procédure judiciaire, en passant par le fonds du dossier, les enquêtes de la police, et les chefs d’accusation ainsi que la comparution des principaux prévenus dans cette affaire, tout est passé au crible par des hommes et des femmes avides d’une cour propre à eux. Une cour où chacun, loin du droit et de l’impartialité des juges, veut, lui, imprimer ses désidératas à une affaire sur laquelle il sait qu’il n’a aucune emprise. Mais ce procès virtuel accapare, occupe une opinion publique traversée par tous les clivages et allégeances possibles. S’il ne tenait qu’à ces opinions, l’ancien président serait condamné sans autre forme de procès. Il pourrait aussi être relaxé sans rendre compte à qui que ce soit. L’accusation et la défense jouent parfaitement ici la contradiction où seuls les juges sont logés aux abonnés absents. Le juge –le vrai- lui prendra sa décision en application du droit, après avoir entendu chacune des personnes concernées, dans le respect des règles de la procédure et du respect des droits de la défense, comme principes d’égalité et de loyauté dans un procès. Ce qui semble poser problème aujourd’hui et auquel contribuent d’ailleurs aussi bien la défense que l’accusation, en alimentant les représentations populaires des faits, c’est la remise en cause de la sérénité dans un procès inédit.
Laissons de côté les apprentis-avocats vaquer à leurs échanges byzantins. Malgré les fortes présomptions pesant sur lui, l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz doit pouvoir compter sur le respect absolu de ses droits civils et politiques. Il devait pouvoir en jouir jusqu’à sa condamnation définitive par les instances judiciaires habilitées. Ce ne fut pas toujours le cas ; reconnaissons-le. Sa défense doit pouvoir jouir de toutes les informations constituant la base des accusations portées contre lui. Ce à quoi s’accroche d’ailleurs sa défense. Un dossier que Me Ebetty, avocat de l’Etat, argue, sur Rfi, avoir été transmis à ses adversaires.
De son règne -dix ans durant- certains de ses compatriotes n’ont pas gardé de bons souvenirs de l’ancien président, Mohamed Ould Abdel Aziz. Pendant que beaucoup d’autres ne juraient –alors- que par son nom et justifiaient tous ses faits et gestes comme actes «salvateurs» pour la République. Mais ils feignent aujourd’hui de lui découvrir le visage « hideux » qu’il ne portait pas hier. C’est malheureusement la culture « makhzénienne » bien de chez nous ; celle qui veut que l’on se vende au « Prince » du moment et lui retourner illico presto le veston dans sa descente aux enfers.
Malgré une différence de pure forme, par le biais d’une transition politique assumée, Mohamed Ould Abdel Aziz est lui-même rattrapé par son passé récent. Un passé où confronté au renversement de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdellahi, qu’il avait forcé (avec le HCE) à démissionner pour prendre sa place, n’avait pas trouvé meilleur moyen que de l’embastiller manu militari au Palais des Congrès. L’arroseur est aujourd’hui arrosé. Ceci rappelle qu’il n’est pas de bon aloi de trainer un ancien président de la République. Le temps bégaye souvent ! Mais quel que soit ce que l’on peut encore reprocher à l’ancien président, Mohamed Ould Abdel Aziz, le régime actuel ne doit pas abuser de sa position dominante pour vider, par d’éventuels actes, les garanties constitutionnelles dont l’ancien président devrait jouir. Car la vraie victoire avec un grand « V » sera celle du droit et pas forcément celle obtenue, dans n’importe quelles conditions, contre l’ancien président, Mohamed Ould Abdel Aziz. La victoire du Droit revient donc au juge impartial qui n’obéit qu’à la loi et son libre arbitre.
JD