10ème édition du Groupe de Travail de l’IMROP : lectures croisées.

Le groupe de travail (GT) est un événement scientifique organisé tous les quatre ans par l’Institut Mauritanie de Recherches Océanographiques et des Pêches (IMROP) – l’unique institution publique en charge du monitoring économique, social, environnemental du domaine marin – qui produit des orientations basées sur des données scientifiques aux politiques, pour une gestion durable des ressources de la pêche et pour une préservation des écosystèmes marins et côtiers de la Mauritanie.

C’est un événement attendu par toute la communauté scientifique (nationale et internationale), mais aussi par tous les acteurs de la mer et du littoral, des autorités en charge de la gouvernance de la Zone Economique Exclusive de la Mauritanie, des partenaires techniques et financiers du pays et de la société civile engagée dans la conservation de la biodiversité marine.

Je fais partie de cette dernière catégorie d’invités à cette prestigieuse rencontre – à laquelle j’assiste pour la première fois – et je m’en vais partager quelques feed-backs recueillis autour de moi, avec mes propres observations.

Primo – le contexte :

Initialement réservée aux seules communautés des scientifiques et des professionnels de la pêche, la rencontre permet la collecte et l’analyse de l’ensemble des données scientifiques et économiques produites entre 2 sessions du GT : statistiques des captures, des débarquements, efforts de pêche, monitorings environnementaux, observations en mer, campagnes de recherches, agrégats socio-économiques, …).

L’édition de cette année, tenue à Nouadhibou, entre le 20 et 24 février 2023, hors des murs de l’IMROP, enregistre quelques innovations au niveau du contenu mais aussi au niveau de la forme. En plus de la participation de quelques 200 participants venus de la Mauritanie, du Sénégal, de la France, de l’Espagne, d’Allemagne, des Pays Bas … cette édition, s’est ouverte à toutes les catégories socio-professionnelles et autres d’acteurs de la mer.

Je trouve, personnellement, cette ouverture très positive – vu la qualité et la quantité d’informations partagées, échangées et débattues (quelques fois avec une certaine passion). Cependant, certains participants ont exprimé leur crainte de voir les productions scientifiques perdre leur neutralité et liberté sous les pressions exercées par les uns et les autres.

Il est vrai qu’il faut être sacrément blindé ou motivé pour garder la tête et le sang froids et pour résister aux censures des gardiens du temple, aux injonctions des activistes, militants et aux intimidations des lobbyistes, entrepreneurs et même aux remarques désobligeantes venant de certains experts et scientifiques qui dénient la dégradation de notre milieu marin.

Secundo – Voici quelques impressions recueillies en vrac avec mes commentaires :

1) La présence du Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique, aux côtés de son homologue des Pêches et de l’Economie Maritime, à la cérémonie d’ouverture a été très appréciée (même si je trouve qu’il aurait dû dire quelques mots). Satisfecit aussi pour la participation active du Président de l’Université de Nouakchott aux travaux du GT.

2) Le courage de certains chercheurs et représentants de l’Administration – à reconnaitre des dysfonctionnements dans la gestion du domaine public maritime et à réclamer la mise en œuvre des solutions que préconise la L2P2022-2024 – a été aussi bien accueilli. (Personnellement j’ai trouvé bizarre que la lettre de politique du Ministère des Pêches soit présentée avant les travaux du GT, alors que ces mêmes travaux sont censés l’orienter).

3) La séparation des participants en deux groupes – un premier groupe composé de scientifiques et experts auxquels on a confié l’actualisation de l’état des ressources halieutiques et leur aménagement et un deuxième dont les membres ont occupé leur temps avec une série de communications – était une façon intelligente de laisser les scientifiques et les spécialistes se concentrer sur l’objectif principal du GT pour l’IMROP et l’Administration de tutelle.

4) Cette édition s’est élargie à des thématiques centrales telles que les changements climatiques, les interactions entre la pêche et l’exploitation en offshore, l’aménagement du littoral et les AMP. Ces sujets se sont ajoutés aux thématiques classiques du secteur telles que la gestion des pêcheries et les affaires maritimes. Cette approche plus élargie permet de mesurer la complexité du milieu marin, la nécessité de la prise en compte de l’ensemble des usages de la mer, de l’importance d’une gestion durable de cet écosystème à travers la protection des zones les plus sensibles.

5) La commission «Environnement, Biodiversité, Changement Climatique, Résilience et Usages», qui est une commission transversale, a travaillé totalement isolée des autres commissions dédiés aux pêcheries. Ce qui donne comme résultat que ces dernières se sont préoccupées uniquement des TAC (Totaux Admissibles de Captures) pour les espèces cibles, en faisant abstraction des recommandations de la Commission sur le contrôle urgent des dommages collatéraux des pêcheries sur les espèces et habitats vulnérables. Alors que ce sont ces données là qui doivent être les plus déterminantes pour les recommandations et orientations des commissions “Ressources & Pêcheries » particulièrement la sous-commission qui traite de la pêche industrielle et qui est responsable de la plupart de ces «dommages collatéraux». En bref, les recommandations du groupe de travails environnement n’ont pas été prises en compte par les groupes de travail pêcheries.

Pour finir, voici quelques recommandations importantes, à mes yeux d’amateure, qui me semblent avoir été «oubliées» dans la restitution du rapport de synthèse :

a. La recommandation d’intégrer la mise en place d’un réseau d’AMP (Aires Marines Protégées) dans le plan d’aménagement des pêcheries démersales – en l’occurrence, la pêche au chalut de fond aux crustacés et aux merlus – n’a pas été prise en considération lors des travaux, et ne figure pas explicitement parmi les recommandations du rapport de synthèse.

Or, ce genre d’aménagement pour protéger les zones vulnérables du fonds marin, comme les coraux, est obligatoire pour la pêche démersale en Europe. Là-bas, la notion que ce genre d’habitats est essentielle pour la reproduction des ressources halieutiques été reconnue depuis déjà deux décennies. Par contre, chez nous, en Mauritanie cette même Union Européenne, via ses experts, qui conseillent nos dirigeants, propage l’idée que la pêche se porte plutôt bien et que tout aménagement en dehors des quota peut attendre !!!??

b. La création d’une commission indépendante pour le suivi des recommandations du GT et de leur mise en oeuvre dans les politiques et stratégies du Ministère, devient une nécessité impérieuse, si le GT veut garder sa crédibilité, sa vocation et sa contribution à la gestion durable des ressources halieutiques de la Mauritanie.

c.Inscrire la pêche imraguen (et sa lanche), comme pêche traditionnelle, au patrimoine culturel national et universel – avec un plan d’aménagement et financier pour garantir la survie de ce savoir-faire unique au monde, qui a mis la Mauritanie sur le devant de la scène mondiale comme pays qui a une tradition de cohabitation harmonieuse avec la nature

d.Etant donné que la recherche scientifique a pour devoir, en plus de la production des connaissances, de diffuser ces savoirs, pas seulement aux décideurs et aux professionnels, mais aussi aux citoyens lambdas – je recommande fortement à l’IMROP de développer plus de passerelles avec la société civile et les médias. Ceci aidera à combler l’énorme gap qui existe entre l’offre de formation et les pratiques de recrutement des gens de la mer – mais aussi pour relever l’un des plus grands défis d’aujourd’hui : pour préserver, il faut d’abord découvrir et comprendre les valeurs et les services rendus par la nature.

e.Concernant l’état de la ressource, les yeux sont désormais tournés vers la détermination des TAC par rapport aux potentiels nouvellement calculés par espèce ou groupe d’espèces. Les professionnels souhaitent déjà que les futurs TAC ne soient pas inférieurs à 80-85% du potentiel déterminé pour chaque type de ressources. Ils souhaitent également que la répartition des TACs annuels fixés, se fasse sur la base de critères objectifs et transparents en trois parts : (i) une première réservée au régime national à redéfinir (flotte nationale), (ii) une deuxième destinées à la vente aux étrangers dans le cadre d’accords bi et multilatéraux ou de conventions avec des privés, notamment des sociétés éligibles de par le volume et les incidences positives de leurs investissements ainsi que leurs comportements responsables vis-à-vis d’un côté, des ressources et leur environnement et de l’autre, des concurrents nationaux et étrangers et enfin (iii) une troisième part ou un certain tonnage que l’Etat se réserve le droit de garder pour des usages purement politiques et/ou stratégiques. Dans les mêmes conditions de transparence, ces parts globales ou possibilités de pêche, devront aussi être attribuées, équitablement, sous formes de concessions et quotas avec des plafonds préalablement réglementés pour éviter toute éventuelle concentration exagérée des possibilités de pêche entre les mains d’un nombre limité de promoteurs.

f.Pour éviter au GT de l’IMROP, d’avoir les allures d’une “Usine à gaz» et pour une gestion améliorée de la technique, de l’espace et du temps, il est fortement recommandé de confier la gestion logistique de l’événement à une entreprise spécialisée en événementiel. L’idée d’introduire du cinéma dans l’évènement est très belle, mais doit être maîtrisée pour avoir l’impact souhaité. Enfin, organiser une pause-sortie d’une journée ou demi-journée, avant de restituer les travaux, pour permettre aux invités de découvrir la ville, tout en permettant aux rapporteurs de remettre une copie plus exhaustive des assises et des recommandations tout en évitant l’effet mortel du copié-collé des versions précédentes.

Maïmouna Saleck
[email protected]

3 Comments

  1. Bien vu Maïmouna. Très bel article. Félicitations
    Amicalement,
    Cheikh I. Sakho
    Expert Communication Scientifique et Technique
    IMROP – Nouadhibou

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