Sénégal : le jeu du chat et de la souris entre le pouvoir et l’opposition

C’est en principe, ce jeudi 16 mars, que l’opposant sénégalais, Ousmane Sonko devrait comparaitre devant le juge pour répondre de l’affaire de diffamation qui l’oppose au ministre sénégalais du Tourisme, Mame Mbaye Niang.

Pour rappel, le maire de Ziguinchor avait déclaré au cours d’une conférence de presse que son protagoniste dans l’affaire avait été épinglé par un rapport de l’Inspection Générale de l’Etat (IGE) pour un détournement de fonds dans le dossier dit des 29 milliards du Programme des Domaines Agricoles Communautaires (PRODAC). Cette accusation est réfutée par le ministre de tutelle dudit programme qui conteste même l’existence d’un rapport de l’IGE qui met en cause l’incriminé. A cette affaire de diffamation sont venus se greffer deux autres motifs d’inculpation à l’endroit de l’opposant : injures publiques, faux et usage de faux.

L’approche de ce procès a fait monter d’un cran le mercure du thermomètre dans le landerneau politique sénégalais. En effet, dès le mardi 14 mars, la coalition Yewwi Askan Wi (YAW, Libérons le peuple) a tenu un meeting dans la soirée dans un quartier populaire de Dakar, à l’issue duquel un appel à manifester a été lancé pour la journée du 15 mars. L’objectif de ces manifs pour la plateforme de l’opposition était de procéder à une démonstration de force avant l’ouverture du procès dans l’intention de mettre la pression sur la justice qu’elle soupçonne d’être instrumentalisée par le Président Macky Sall au service de son dessein de troisième mandat. La question que l’on peut, cependant, se poser est la suivante : pourquoi l’opposition sénégalaise se rue dans les brancards pour une affaire de délit de droit commun ?
La peur de voir Sonko écarté de l’élection présidentielle
«Chat échaudé craint l’eau froide» pourrait-on dire. Les sympathisants de Sonko craignent qu’il ne soit pris dans les trappes de la justice et qu’il ne soit écarté de la course à la présidentielle de février 2023 par une condamnation qui le frapperait d’inéligibilité. Ils fondent leur jugement sur l’histoire récente du pays, en l’occurrence sur le sort qu’a connu la quasi-totalité des opposants sérieux au pouvoir à l’approche des différentes compétitions électorales, de Karim Wade à Khalifa Sall. L’opposition est d’autant plus convaincue de sa position est qu’il se dégage l’impression que son champion est victime d’un véritable harcèlement judiciaire car en plus de cette affaire de diffamation contre le ministre du Tourisme, il y’a cet autre dossier judiciaire de viols répétés et de menaces de mort contre Adji Raby Sarr. Toutes ces raisons avancées n’excluent pas, en sus, les calculs politiques de l’opposition sénégalaise qui utilise, stratégiquement, les démêlées judicaires d’Ousmane Sonko pour occuper le terrain politique et au passage augmenter son capital sympathie dans l’opinion publique nationale et internationale en le présentant comme martyr du pouvoir de Macky Sall. On sait que la manœuvre fait recette puisqu’elle a permis aux dernières élections législatives à cette opposition d’être pratiquement au coude à coude avec le régime en place en termes de sièges à l’Assemblée nationale.
L’opposition a plus intérêt à attaquer Macky Sall sur son bilan …
Mais l’on peut se demander si à long terme, l’opposition sénégalaise ne fait pas un faux jeu. En faisant bloc autour de Sonko pour faire pression sur la justice, elle fait croire non seulement que les Sénégalais ne sont pas tous égaux devant la loi mais elle donne surtout l’impression qu’elle cultive l’impunité. Ces sentiments que l’opposition laisse dans l’opinion par sa mobilisation aux allures mêmes de défiance à l’autorité, peuvent desservir Ousmane Sonko qui aspire à la magistrature suprême du pays où il a l’obligation de respecter et faire respecter la loi. Par ailleurs, tout le tapage des rassemblements autour des frasques de Sonko ne font qu’amplifier sa mauvaise réputation. L’homme est finalement plus connu pour la légèreté de ses mœurs et pour sa langue de commère que pour sa vision politique pour le Sénégal. Et cette image, il aura du mal à la corriger. Mais, pire pendant que l’opposition se fourvoie dans les démêlées judicaires de son candidat, elle occulte le vrai débat politique où elle pouvait confondre par les arguments Macky Sall sur son bilan. Elle crée ainsi un retard qu’elle aura du mal à rattraper lors de la prochaine campagne présidentielle face au candidat du pouvoir.
En attendant de voir jusqu’où iront les ennuis judiciaires d’Ousmane Sonko, l’on ne peut émettre que des inquiétudes pour la démocratie sénégalaise qui est en train de glisser du débat d’idées dans l’hémicycle en scènes de pugilat dans la rue avec les conséquences que l’on connait. Faut-il le rappeler les manifestations consécutives aux démêlées judiciaires de Sonko ont déjà couté la vie à plusieurs Sénégalais. Et cela ternit gravement l’image du pays de Léopold Sédar Senghor et d’Abdou Diouf qui constituait l’un des principaux phares démocratiques du continent africain. Il faut même craindre pour l’avenir car la cadence de la danse de l’opposition pourrait s’accélérer si le Président Macky Sall continue le théâtre d’ombres sur son éventuelle candidature pour un troisième mandat. Il y’a donc lieu véritablement de faire baisser la fièvre et cela pourrait passer justement par une sortie du Président de la république pour clarifier ses intentions. Et même au pire des cas, l’opposition devrait savoir faire confiance au peuple sénégalais qui a toujours su faire preuve de grande maturité politique en renvoyant par les urnes les aventuriers qui ont tenté d’engager le pays sur les sentiers de l’incertitude. Abdoulaye Wade ne dirait pas le contraire.

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