APPD UE-Mauritanie : les scientifiques soulignent les problèmes de durabilité, mais évitent d’aborder la protection des récifs coralliens

Début octobre, le compte-rendu du dernier Comité Scientifique Conjoint (C.S.C.) de l’accord UE-Mauritanie a été publié.
Ce comité réunit chaque année des scientifiques des deux parties pour suivre l’état des différentes pêcheries et conseiller la commission mixte qui supervise la mise en œuvre de l’accord de partenariat pour une pêche durable (APPD) entre l’UE et la Mauritanie.

Bien que ce document de près de 90 pages soit dense et truffé de jargon scientifique, il vaut la peine d’être lu. Il révèle qu’il reste un long chemin à parcourir pour garantir que toutes les flottes de l’UE actives en Mauritanie pêchent de manière durable, notamment en ce qui concerne le contrôle et la limitation des prises accessoires et des rejets. Il montre également que la flotte européenne pêchant les petits pélagiques, en particulier les navires d’Europe de l’Est, continue d’ignorer ses obligations d’embarquer des observateurs à bord. Mais ce que le procès-verbal ne dit pas est également significatif : il est surprenant de constater que le Comité Scientifique Conjoint n’examine pas les mesures à prendre pour protéger les récifs coralliens en eau profonde de Mauritanie, un écosystème marin vulnérable, de l’impact du chalutage.

Quand un poisson est-il une « prise accessoire » ?
En général, nous considérons les prises accessoires comme des animaux capturés lors d’une opération de pêche, dont les pêcheurs ne veulent pas, qu’ils ne peuvent pas vendre ou qu’ils ne sont pas autorisés à garder. Mais ce n’est pas toujours le cas. Pour les chalutiers crevettiers de l’UE actifs dans le cadre de l’APPD avec la Mauritanie, jusqu’à un tiers de leurs captures sont considérées comme des prises accessoires, même s’il s’agit d’espèces de grande valeur : poissons (jusqu’à 15 %), céphalopodes (jusqu’à 8 %) et crabes (jusqu’à 10 %). Pour les 15 chalutiers crevettiers européens qui ont opéré dans les eaux mauritaniennes en 2022, la lotte et le poulpe dominent les prises accessoires et sont vendus par les opérateurs. En pratique, comme le souligne le CSC, ces chalutiers dits « crevettiers » n’ont pas une seule espèce cible, mais trois : crevettes, poissons et céphalopodes. Comme dans les autres APPD multi-espèces, une première question qui vient à l’esprit est de savoir si et comment l’accès à ces « autres espèces cibles » est mesuré lors de la fixation des coûts d’accès pour les chalutiers crevettiers.

Un autre problème lié aux prises accessoires est qu’elles ne sont pas prises en compte de manière précise dans la gestion des ressources, qui se concentre sur la gestion des pêcheries en fonction de leurs principales espèces cibles. Un exemple mis en exergue par le CSC est l’importance des prises accessoires de merlu noir dans les débarquements des pêcheries de petits pélagiques : « l’analyse des données montre que 38% de la production de merlu dans la ZEE mauritanienne provient des prises accessoires dans d’autres pêcheries […]. La catégorie des chalutiers pélagiques est responsable de plus de 90% en moyenne sur les quatre dernières années (2019-2022) de ces captures accessoires ». Ainsi, 34% de la production de merlu en Mauritanie est capturée en tant que prise accessoire par les chalutiers ciblant les petits pélagiques.

Ce doit être une bonne nouvelle pour les opérateurs : un kilo de merlu vaut beaucoup plus qu’un kilo de sardines. Mais c’est une mauvaise nouvelle pour le merlu, que les scientifiques considèrent comme une ressource surexploitée. Pour le CSC, cette situation de surexploitation est en partie liée aux captures de merlu par les chalutiers ciblant les petits pélagiques. Réduire la mortalité par pêche du merlu noir pour lui permettre de se reconstituer est une nécessité, et le CSC demande l’interdiction totale des captures accessoires démersales par les chalutiers pélagiques pêchant dans le cadre de l’APPD : « La mise en œuvre de cette mesure est de nature à décourager le ciblage supposé de ces espèces, y compris le merlu noir, cependant elle pourrait accentuer le niveau des rejets et/ou la mauvaise déclaration ».

Si cet appel à l’interdiction des captures accessoires de poissons démersaux, y compris le merlu, par les chalutiers pélagiques est bienvenu, il est difficile d’envisager comment il sera mis en œuvre et contrôlé. Actuellement, la législation mauritanienne autorise un maximum de 3% en poids de captures accessoires pour les chalutiers pélagiques opérant dans le cadre de l’APPD. Le CSC avertit que les « prises accessoires dépassent largement les 3% autorisés par le protocole sur la période récente, particulièrement sur les trois dernières années […] principalement du fait d’une augmentation des thons mineurs ». Cependant, le CSC reconnaît également que la « part des captures accessoires pour les espèces démersales a diminué depuis 2017 et est inférieure a 1% sur les années récentes (et reste inférieure à 3% si l’on inclut le merlu) ». Pourtant, par rapport au potentiel de capture, cela représente une part importante pour certaines espèces, comme le merlu. Le problème est que le protocole de l’APPD définit un taux de prises accessoires de 3 % sans préciser la nature des espèces concernées. Pour y remédier, le CSC recommande de définir la liste et le pourcentage des espèces cibles (primaires et secondaires) et celles autorisées pour les prises accessoires. Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera possible de garantir l’interdiction des captures accessoires d’espèces démersales.

La pratique des rejets, c’est-à-dire des animaux capturés que les opérateurs ne veulent pas garder et qu’ils rejettent en mer, est une autre préoccupation pour la durabilité des chalutiers de l’UE opérant dans le cadre de l’APPD, en particulier les chalutiers crevettiers. Les parties à l’APPD ont demandé au CSC « si le nombre maximal des navires de l’Union opérant en même temps peut passer de 15 à 18, sans modification du TAC (Total de Captures Admissibles) fixé pour cette catégorie ». En bref, la réponse du CSC a été un « oui, mais », soulignant que « il faut rappeler que cette pêcherie réalise d’importants niveaux de rejets », de sorte que l’augmentation du nombre de chalutiers crevettiers augmentera également les quantités d’animaux rejetés. Plutôt que d’augmenter le nombre de chalutiers crevettiers, la priorité devrait être d’éliminer le gaspillage que représente la pratique des rejets pour la pêche pratiquée dans le cadre des APPD. Comme le suggère le CSC sur la question des rejets: « il peut être intéressant de se référer à la politique mise en place par l’Union Européenne [pour éliminer les rejets, ndlr] ».

2. Ne vous laissez pas abuser : la certification des farines et des huiles de poisson n’est pas un gage de durabilité
Les captures de petits pélagiques par les navires de l’UE en Mauritanie sont en baisse constante depuis 2011, et sont bien en dessous de la limite de 225 000 tonnes autorisée par le protocole de l’APPD : le CSC indique que, pour les trois dernières années, elles ont été inférieures à 50 000 tonnes – seulement 4% des captures totales de petits pélagiques capturés dans les eaux mauritaniennes. L’extension en 2012 de la zone côtière d’exclusion des chalutiers pélagiques, de 13 à 20 milles, signifie que la sardinelle, une espèce également capturée par les pêcheurs artisans, essentielle pour la sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest, n’a pratiquement pas figuré dans les captures de l’UE ces dernières années, la majorité des navires de l’UE ciblant cette espèce s’étant retirés. Depuis 2020, le chinchard et le maquereau ont été ciblés, principalement par les flottes européennes des pays de l’Est de l’UE comme la Pologne, la Lettonie et la Lituanie.

Les stocks de petits pélagiques en Afrique de l’Ouest sont partagés entre plusieurs pays côtiers (Maroc, Mauritanie, Sénégal, Gambie), et ces ressources devraient être gérées au niveau régional. Le CSC réitère cet appel : « la durabilité de l’exploitation de ces ressources partagées, dont certaines sont surexploitées, ne peut être assurée que dans le cadre d’une gestion sous-régionale concertée », et recommande à la Mauritanie d’accélérer la mise en œuvre de la recommandation du plan de gestion des petits pélagiques, « de mettre en place des mécanismes de gestion bilatérale sur les espèces partagées avec les pays riverains (le Maroc pour la sardine et le Sénégal pour la sardinelle) ». Il conclut : « Sans une gestion régionale et un accord sur la répartition du TAC entre les pays côtiers, il est impossible d’établir un reliquat pour chaque état côtier séparément ». Et donc impossible d’établir s’il existe un excédent pour les navires de l’UE dans le cadre de chaque APPD…
En Mauritanie, ces dernières années, une grande partie des captures de la pêche artisanale et côtière – cette dernière incluant les senneurs turcs de 40 mètres affrétés -, a été destinée à la transformation en farine de poisson et en huile de poisson. Selon les chiffres fournis dans le rapport du CSC, en 2018 et 2020, les exportations de farine de poisson ont atteint un record de 127 000 tonnes, correspondant à environ 600 000 tonnes de poisson frais. La production de farine de poisson/huile de poisson a diminué depuis 2020 en raison des mesures prises par le gouvernement mauritanien pour encourager l’utilisation de petits pélagiques pour la consommation humaine. Le CSC souligne par ailleurs les progrès réalisés en matière de contrôle des usines de farine de poisson : « Ce suivi rapproché permet de déterminer la composition spécifique des espèces transformées en farine ».

Cependant, de manière surprenante, le CSC, après avoir noté le « processus de certification des pêcheries de petits pélagiques, engagé par certains opérateurs de l’industrie de la farine, en partenariat avec la recherche et l’administration, exhorte les parties prenantes à aller au bout de ce processus, gage de la durabilité de ces ressources ».

Comme nous l’avons récemment montré dans notre article « Certifier l’insoutenable », ce processus d’écocertification pour la farine de poisson et l’huile de poisson en Mauritanie, et les affirmations concernant les progrès réalisés à ce jour, s’apparentent à de l’éco-blanchiment. Les partenaires de l’APPD devraient plutôt se concentrer sur la récupération des ressources de petits pélagiques et sur la sauvegarde de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance, ce que l’UE peut soutenir davantage, notamment par le biais de l’appui sectoriel de l’APPD.

3. Des sanctions supplémentaires sont nécessaires pour ceux qui refusent d’embarquer des observateurs
La disponibilité d’informations détaillées sur les activités de pêche et les espèces exploitées est un élément essentiel pour les évaluations scientifiques et, en fin de compte, pour la gestion des pêches. En 2020, avec Birdlife et le WWF, CAPE avait tiré la sonnette d’alarme à propos de certains navires de l’UE, battant pavillon de la Lituanie et de la Lettonie, pêchant des petits pélagiques dans le cadre de l’APPD UE-Mauritanie, qui refusaient d’embarquer des observateurs scientifiques à bord. Pour remédier à cette situation, une mesure a été introduite dans le nouveau protocole 2021-2026 de l’APPD UE-Mauritanie : si un chalutier refuse d’embarquer des observateurs scientifiques, il ne sera pas autorisé à quitter le port.

Mais voilà, deux ans après l’entrée en vigueur du nouveau protocole, le CSC se plaint toujours que, pour les pêcheries de petits pélagiques, « le nombre d’observations en mer effectuées à bord des chalutiers de l’UE a été très faible, voire inexistant, au cours des dernières années ». Le CSC explique que cette situation est due aux difficultés d’embarquer des observateurs lors de la pandémie de COVID, mais aussi à un refus des armateurs, invoquant un manque de place à bord du fait de l’obligation d’embarquer 60% d’équipage mauritanien. Le CSC ajoute que « Compte tenu des niveaux élevés de rejets mentionnés ci-dessus, il est urgent de trouver une solution pour rétablir un niveau satisfaisant d’observations en mer à bord des chalutiers de l’UE ».

Le CSC souligne par ailleurs que, dans le cadre du nouveau protocole (annexe 11), « concernant l’obligation d’embarquer deux observateurs, l’un des deux sera déduit de ce nombre minimum de marins mauritaniens ». Il n’y a donc aucune raison pour que ces navires n’embarquent pas d’observateurs scientifiques.

Il semblerait que la mesure actuelle – ne pas laisser le navire quitter le port si les observateurs ne sont pas embarqués – ne soit pas suffisante. Nous réitérons donc la recommandation que nous avons faite en 2020, à savoir que, en plus de cette mesure, le renouvellement par l’UE de l’autorisation de pêche devrait être conditionné à l’embarquement d’observateurs scientifiques, comme l’exige le protocole.

Le CSC souligne également que les « observations scientifiques à bord jouent un rôle essentiel dans l’amélioration de la séparation de toutes les espèces commerciales et elles devraient donc être renforcées sur tous les fronts (que ce soit via l’UE, l’introduction d’observateurs obligatoires comme sur les navires industriels au Maroc, etc.) ». Dans le cadre de l’APPD, l’UE devrait soutenir les efforts de la Mauritanie visant à généraliser l’embarquement d’observateurs scientifiques. Une question particulière à aborder dans ce contexte sera celle de la rémunération de ces observateurs, du montant de la contribution des armateurs, et de la manière de garantir l’indépendance des observateurs – en effet, le CSC note que « les faibles niveaux de rémunération semblent être l’une des principales raisons pour lesquelles il est difficile de trouver des observateurs scientifiques ».

4. La protection du plus grand récif corallien d’eau froide du monde, c’est pour quand ?
Les plus grands récifs coralliens d’eau froide connus au monde se trouvent en Mauritanie, sur la partie haute du talus, à des profondeurs entre 400 et 600 mètres, entre la frontière sénégalaise et le cap Timiris, et s’étendent sur plus de 500 km. Ils ont été découverts en 2005, lors de l’exploration des hydrocarbures offshore et étudiés par la suite lors de campagnes océanographiques espagnoles, mauritaniennes et allemandes. Ces récifs ont connu une forte croissance au cours de la dernière période glaciaire, et abritent toujours aujourd’hui des coraux vivants, et une importante communauté d’organismes, y compris des espèces commerciales et d’autres qui constituent la base alimentaire de nombreuses ressources halieutiques. On y trouve des crustacés, des céphalopodes ou encore une espèce d’huître qui peut vivre jusqu’à 500 ans. On y rencontre également des tortues marines, des baleines bleues, en fin d’hiver, et, en été, des oiseaux marins. Le chalutage, mais aussi la pollution, le bruit et le transport maritime accrus liés à l’exploration et à l’exploitation des hydrocarbures, font peser de grands risques sur cet habitat fragile.
(avec capecffa.org)

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