Que signifie l’assassinat d’Ismaïl Haniyé à Téhéran ?
Le chef politique du Hamas a été tué en pleine capitale iranienne, quelques heures après l’assassinat de Fouad Chokor dans la banlieue sud de Beyrouth.
Les circonstances restent floues mais c’est officiel. Les médias iraniens l’ont annoncé peu avant 6h du matin, et le Hamas l’a rapidement confirmé. Le chef de la branche politique du Hamas, Ismaïl Haniyé, a été tué avec un de ses gardes du corps dans une frappe imputée à Israël sur son lieu de résidence à Téhéran, où il venait de rencontrer le guide suprême Ali Khamenei et d’assister à la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien, Massoud Pezeshkian. L’annonce intervient surtout quelques heures seulement après l’assassinat par l’Etat hébreu de Fouad Chokor, haut commandant du Hezbollah, en pleine banlieue sud de Beyrouth – dont la mort n’a pas encore été confirmée par le parti chiite. Une riposte à la frappe sur Majdel Chams ayant tué samedi 27 juillet 12 enfants et adolescents dans le Golan annexé, qui a franchi toutes les règles d’engagement et les lignes rouges édictées au préalable, par « l’axe de la résistance » comme par les alliés américains. Dans ce contexte, l’assassinat du leader palestinien dans la capitale de la République islamique semble ainsi moins servir un objectif stratégique que d’être un message adressé à l’Iran et à « l’axe de la résistance » dans son ensemble.
Quid des pourparlers pour une trêve à Gaza ?
Car Ismaïl Haniyé, basé le plus souvent au Qatar, avait certes une influence non négligeable au sein du mouvement palestinien, qu’il représentait notamment auprès des médiateurs lors des négociations autour d’un cessez-le-feu éventuel à Gaza et d’une libération des otages encore détenus dans la bande de terre. Et il est le plus important leader du groupe, listé comme terroriste par Israël, les Etats-Unis et de nombreux pays européens, à avoir été éliminé durant cette guerre. Depuis le 7 octobre cependant, celui qui prend les décisions et a le dernier mot dans ce dossier se trouverait dans les tunnels de Gaza. Aucune condition ne peut être émise, aucun accord ne peut être signé sans l’approbation de Yahya Sinouar, chef du mouvement dans l’enclave issu de sa branche militaire. Un responsable et ancien porte-parole du Hamas, Sami Abou Zouhri, a déclaré à l’agence Reuters que l’assassinat d’Ismaïl Haniyé représentait « une grave escalade, qui n’atteindra pas ses objectifs ».
De quoi laisser entendre que les pourparlers en vue d’une trêve se poursuivront malgré tout ? À l’heure actuelle, le sort des négociations reste inconnu, tout comme les réactions possibles du mouvement, qui pourrait lancer un barrage de roquettes sur plusieurs villes en Israël en représailles. Stratégiquement, un cessez-le-feu semble néanmoins souhaité depuis plusieurs semaines par le groupe palestinien, alors que les opérations israéliennes dans la bande de Gaza ne faiblissent pas. Après avoir fait des concessions début juillet, le Hamas a poursuivi les discussions en dépit de nouvelles exigences imposées par les Israéliens au fil des discussions, accusant même récemment le Premier ministre Benjamin Netanyahu de « procrastination ».
L’Iran touché directement
Reste que la frappe a atteint la République islamique en son cœur. Certes, ce n’est pas la première fois que Tel-Aviv est derrière des assassinats ciblés visant la capitale iranienne. En 2022, un haut gradé du Corps des gardiens de la révolution a été tué dans sa voiture en plein Téhéran, et avant lui Mohsen Fakhrizadeh, un responsable scientifique du programme nucléaire iranien, deux ans plus tôt. Mais ce dernier incident intervient après qu’un échange tendu de ripostes ait eu lieu en avril dernier, dans le cadre de la guerre à Gaza, faisant craindre un embrasement régional du conflit. En réponse à une frappe sur son annexe consulaire à Damas ayant tué un haut responsable des pasdaran, Mohammad Reza Zahedi, Téhéran avait envoyé le 13 avril plus de trois cents projectiles contre Israël, pour la plupart interceptés, avant d’essuyer l’envoi de plusieurs missiles visant les alentours d’Ispahan, non loin d’une centrale nucléaire. Entendant montrer les muscles, la République islamique avait promis de réagir avec force contre toute agression future contre son territoire et ses intérêts, laissant même planer la menace d’un changement de sa doctrine nucléaire pour autoriser officiellement l’utilisation de l’atome dans le domaine militaire.
La séquence s’était néanmoins tassée en raison notamment des contacts diplomatiques effectués de part et d’autre pour calibrer les réponses en vue d’éviter le déclenchement d’une confrontation directe entre les deux ennemis. Une réalité rendue possible du fait que l’Iran ne veut pas d’une guerre régionale qui pourrait affaiblir son réseau d’affiliés et ébranler son régime, et que les Etats-Unis non plus. Si Washington reste sur la même ligne, entendant encore éviter une guerre totale, il semble néanmoins avoir révisé quelque peu ses calculs au vu de l’obstination d’Israël à rétablir sa capacité de dissuasion régionale. Les Américains auraient été informés à l’avance par leur allié que ce dernier allait frapper la banlieue sud de Beyrouth, qu’ils avaient pourtant érigée comme une ligne rouge. Dans le sillage de l’attaque israélienne, une base des milices pro-iraniennes en Irak a été prise pour cible par les forces américaines. L’enchaînement des frappes pourrait indiquer un effort coordonné des deux alliés d’envoyer un signal fort à « l’axe de la résistance » dans son ensemble : personne ne sera en sécurité nulle part. Le discours de Benjamin Netanyahu au Congrès américain le 24 juillet dernier, où il a dépeint la menace iranienne comme existentielle aussi pour les Etats-Unis, aura-t-il finalement trouvé écho auprès d’un allié pourtant lassé de sa conduite de la guerre ?
« Déni plausible » israélien
La question qui se pose désormais est de savoir quelle sera la réponse à l’assassinat d’Ismaïl Haniyé ? Selon le New York Times, l’Iran a convoqué le Conseil suprême de sécurité nationale pour une réunion d’urgence mercredi matin, à laquelle participerait également le général Hossein Salami, commandant des forces al-Qods, bras paramilitaire des gardiens de la révolution chargés des relations avec les alliés de Téhéran. Quelques heures après l’annonce de la mort d’Ismaïl Haniyé, le guide suprême iranien a promis un « châtiment sévère » à Israël. Son président tout juste investi, Massoud Pezeshkian, a affirmé que l’Iran « défendra son intégrité territoriale, son honneur, sa fierté et sa dignité, et fera regretter aux envahisseurs terroristes leur acte lâche ». Au regard de la proximité temporelle avec la frappe sur la banlieue sud de Beyrouth, la République islamique pourrait laisser le Hezbollah répondre aux deux incidents en une fois. D’autant que ce n’est pas un responsable iranien qui a été visé. Dans le cas où l’hypothèse d’un missile israélien est confirmée par les autorités iraniennes, il sera toutefois plus difficile pour Téhéran de ne pas répondre directement. Reste que le précédent de janvier, lorsque le numéro deux du Hamas Saleh el-Arouri a été tué dans la banlieue sud de Beyrouth, la réponse du Hezbollah n’a pas dépassé les règles d’engagement avec Israël. Si l’Etat hébreu a revendiqué l’assassinat de Fouad Chokor, dit Hajj Mohsen, il s’abstient pour le moment de tout commentaire sur la frappe à Téhéran. Une manière d’utiliser le concept de « déni plausible » si cher à l’Iran dans le but d’éviter une guerre totale ?
https://www.lorientlejour.com/article/1422163/que-signifie-lassassinat-dismail-haniye-a-teheran-.html