160 journalistes assassinés à Gaza par l’armée israélienne depuis octobre 2023

Depuis le 7 octobre 2023, 160 journalistes ont été assassinés à Gaza, et de nombreuses preuves démontrent que l’armée israélienne les a délibérément ciblés.

Vendredi 9 août 2024, le Syndicat des journalistes palestiniens (SPJ) dénonçait l’assassinat des journalistes palestiniens Tamim Muammar et Abdullah Al-Sousi par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Les deux hommes ont été tués lors de deux raids distincts à Khan Yunis, dans le sud de la bande de Gaza, ainsi qu’un certain nombre de leurs enfants et membres de leur famille. Qualifiant ces raids de « nouveaux crimes de l’occupation visant à liquider des journalistes », le syndicat a appelé le procureur général de la Cour pénale internationale à entamer rapidement des procédures d’enquête sur les crimes de l’occupation contre les journalistes palestiniens.

Contactée par l’Agence Média Palestine le 12 août 2024, la porte-parole du SPJ Shuruq Asad confirme que 160 journalistes ont été assassinés depuis le 7 octobre 2023 à Gaza. L’ONG Reporter Sans Frontières (RSF) a déposé depuis le 7 octobre trois plaintes à la Cour Pénale Internationale contre Israël pour « crimes de guerre commis contre des journalistes », en octobre, en décembre puis en mai derniers. Dans un communiqué publié la semaine dernière, RSF exhorte le gouvernement israélien à « s’engager immédiatement à cesser les violences contre les journalistes, qui continuent d’être commises impitoyablement par les forces de défense israéliennes, et constituent des exemples flagrants de crimes de guerre. Nous appelons également à une pression internationale accrue pour garantir que les journalistes travaillant encore à Gaza puissent faire leur travail en toute sécurité et pour obtenir justice pour les trop nombreux tués. Ce massacre doit cesser maintenant. »

Le cas d’Ismail Al-Ghoul : premier aveu de l’armée israélienne

Ces deux meurtres surviennent alors qu’une frappe israélienne avait assassiné, le 31 juillet dernier, les journalistes d’Al-Jazeera Ismail Al-Ghoul et Rami Al-Rifi. Les deux hommes ont été décapités dans leur voiture par un tir aérien, alors qu’ils portaient leurs gilet de journalistes étaient clairement identifiables comme tels.

L’armée israélienne, pour la première fois depuis le début de son offensive génocidaire sur Gaza, a reconnu avoir ciblé le journaliste Ismail Al-Ghoul. Dans une déclaration, elle présente Ismail Al-Ghoul comme un individu recherché et poursuivi par l’armée d’occupation et ses agences de sécurité, ce que contredit son travail journalistique et sa présence quotidienne pour couvrir les événements dans le nord de Gaza jour et nuit et en direct à l’antenne. La déclaration admet et confirme que son assassinat « a été réalisé par une opération conjointe entre le service de sécurité générale et l’armée » et qu’il a été assassiné « par un raid aérien d’un avion militaire de l’armée ciblant Al-Ghoul ».

Le Syndicat des journalistes palestiniens (SPJ) considère la déclaration de l’armée israélienne comme un aveu officiel, pour la première fois, de son implication dans l’assassinat de tous les journalistes palestiniens, y compris Ismail Al-Ghoul et Rami Al-Rifi. Le Syndicat souligne que toutes les justifications de leur assassinat mentionnées dans la déclaration font partie d’une campagne systématique de « mensonges, de déformation et de tromperie de la vérité et de l’opinion publique », les qualifiant d’insensées et de sans valeur. Mais l’aspect important de la déclaration est la reconnaissance de l’assassinat de journalistes palestiniens.

Au moment de son assassinat et pendant les mois qui l’ont précédé, Ismail Al-Ghoul portait son gilet de presse et rapportait en direct sur Al-Jazeera la situation à Gaza. Pour le SPJ, cela prouve bien qu’Ismail Al-Ghoul n’était ni recherché, ni en fuite. En outre, il avait été arrêté le 18 mars, en même temps que d’autres journalistes lors du raid de l’hôpital Al-Shifa, et avait été libéré 12h plus tard par l’armée d’occupation. Cela laisse penser qu’il n’y avait pas de mandat d’arrêt contre lui.

Diffamation contre Al-Jazeera

Reporter sans frontières (RSF), qui a condamné ce double assassinat, précise que ces attaques mortelles fait écho à la campagne de diffamation continue des autorités israéliennes, qui accusent Al Jazeera d’être un “porte-parole du Hamas” qui “menace l’armée israélienne”, et qui a conduit à une interdiction temporaire du média en Israël et en Palestine. L’interdiction a été renouvelée pour 45 jours le 5 mai, puis pour encore 45 jours le 9 juin. RSF a averti à plusieurs reprises que la campagne contre Al Jazeera, ainsi que l’amalgame incessant du journalisme avec le “terrorisme”, met en danger les reporters et menace le droit à l’information partout.

Dans un communiqué, la chaine Al-Jazeera réfute les affirmations d’Israël selon lesquelles ses attaques contre les Palestiniens s’inscriraient dans le cadre de sa campagne contre le Hamas. Selon le média, ces affirmations ne sont pas accompagnées de preuves et se contredisent souvent. Avec la mort d’Ismail Al-Ghoul et Rami Al-Rifi, le nombre de journalistes d’Al Jazeera tués à Gaza s’élève à cinq, tous ciblés par des frappes directes, selon RSF.

« Les journalistes sont des civils et ne devraient jamais être pris pour cible. Israël doit expliquer pourquoi deux autres journalistes d’Al Jazeera ont été tués dans ce qui semble être une frappe directe », a déclaré Jodie Ginsberg, directrice générale du Comité pour la protection des journalistes (CPJ).

Le CPJ s’est dit profondément préoccupé par la sécurité du correspondant d’Al Jazeera dans le nord de Gaza Anas Al Sharif, après qu’un porte-parole des Forces de défense israéliennes l’a accusé de  » présenter un mensonge  » dans sa couverture de la frappe aérienne israélienne du 10 août qui a tué des dizaines de Gazaouis dans un bâtiment scolaire abritant des Palestiniens déplacés par la guerre. « Les journalistes d’Al Jazeera ont payé un prix dévastateur pour avoir documenté la guerre. Ils devraient, comme tous les journalistes, être protégés et autorisés à travailler librement. » Anas Al Sharif est le dernier correspondant d’Al-Jazeera survivant à Gaza.

Entrave au journalisme

Seuls quelques médias internationaux, dont l’AFP, ont des journalistes à Gaza : il s’agit de Palestiniens qui se trouvaient dans le territoire avant le 7 octobre. En juillet dernier, 64 médias internationaux signaient une lettre ouverte sur le site du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) exigeant un « accès immédiat et indépendant » à Gaza afin de couvrir au mieux le conflit et décharger leurs collègues Palestiniens, sur place depuis le début.

« Je ne peux que supposer qu’Israël n’autorise pas les journalistes à travailler librement à l’intérieur de Gaza, parce que leurs soldats font des choses qu’ils ne veulent pas que nous voyions », accusait en février dernier Jeremy Bowen, de la BBC. « Des reportages de journalistes étrangers pourraient confirmer l’affirmation d’Israël selon laquelle, pour reprendre une expression courante en Israël, il s’agit de l’armée la plus morale du monde ; ou alors, des journalistes étrangers pourraient découvrir des preuves qui confirment les allégations de crimes de guerre ainsi que celle, encore plus grave, de génocide. Tant que nous ne serons pas entrés, nous ne le saurons jamais », a souligné le journaliste.

Alors que les journalistes extérieurs revendiquent leur droit de se rendre sur place pour informer, les journalistes palestiniens bloqués dans Gaza ne bénéficient pour leur part d’aucune protection, et voient leurs installations bombardées ainsi que leurs familles mises en danger. Dans un territoire sous blocus dont les accès sont limités par Israël ainsi que par l’Egypte, avec un accès extrêmement réduit à l’électricité et aux moyens de communication, les travailleurs de la presse à Gaza sont empêchés de transmettre à l’extérieur ce qu’ils voient et entendent.

Mais il semble que la presse n’est pas seulement entravée à Gaza, elle est aussi ciblée délibérément par l’armée d’Israël. Le « Gaza Project », qui a rassemblé des dizaines de journalistes internationaux, avait pu prouver en juin dernier qu’au moins 18 journalistes avaient été tués par des tirs de précision. L’enquête laissait supposer qu’Israël tentait d’empêcher les journalistes de diffuser des images en direct.

Antoine Bernard, de RSF, déclarait en mai : “L’impunité met en danger les journalistes non seulement en Palestine, mais partout dans le monde. Ceux qui tuent des journalistes s’attaquent au droit du public à l’information, encore plus vital en période de conflit. Ils doivent rendre des comptes, et RSF continuera à travailler dans ce sens, en solidarité avec les reporters de Gaza.“

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