Histoire de coup d’Etat en Mauritanie (suite et fin)- R. Bourgi “chef d’escale”!

Au lendemain du coup d’Etat, les mauritaniens, en majorité, ne s’intéressaient, qu’aux conséquences politiques du putsch de 2008 sur les libertés retrouvées depuis la démocratisation et sur les risques d’impact d’une mise au ban de la communauté internationale du pays, après une élection historique. Ils ne se rendaient pas compte que c’était ailleurs que leur avenir et celui de leur pays se décidait. C’était de saison. C’est toujours donc grâce ou à cause des lobbies dans lesquels certains hommes, comme R. Bourgi (RB), excellaient, en France, ancienne métropole avec laquelle les pouvoirs successifs avaient une relation de vassalité, que se décantait ou se compliquait notre situation interne. Le tintamarre et les casseroles ne parvenaient aux citoyens ordinaires qu’indicibles tout le long des tractations de ceux qui tirent véritablement les ficelles déterminantes de l’issue politique. Paris fut toujours la Mecque des acteurs politiques mauritaniens : pouvoir et opposition. Ils pensaient même en tiraient leur première légitimité. De tout temps, les acteurs mauritaniens sont aussi responsables dans cette régence politique de Paris qu’ils pointent, parfois, à l’occasion de différends, comme ingérence dans les affaires intérieurs du pays. Dans ce sillage, les responsables politiques se reconnaissaient soit dans La Gauche, soit dans La Droite françaises. L’avènement du coup d’Etat à Nouakchott succédait à l’élection de Nicolas Sarkozy, de l’UMP (droite).

La conflictualité politique en France sur le dossier «Putsch en Mauritanie » a suscité les vieilles rivalités imprescriptibles, mettant en prise « les doctrines » françaises de l’interventionnisme, un autre terrain de leur expression. On n’échappe pas à son destin. R. Bourgi a servi plusieurs camps, souvent opposés, comme il a été accusé d’avoir trahi certains de ses mentors africains (Laurent Gbagbo). Des postures qui, même chez R. Bourgi, suscitent parfois des états d’âme. En effet, sur ce registre, R.Bourgi se défend d’avoir baigné dans l’affaire du renversement de Gbagbo sur laquelle il n’avait aucune emprise puisque décidé en « hauts lieux ». Il n’aurait donc fait que « constater les dégâts».

Mais le temps –et les trahisons- se chargent, pour ainsi dire, de garder au chaud les «secrets d’Etats» jusqu’à ce que, pour une raison ou une autre, un acteur se décide de passer à table pour évoquer ses dessous.

Si dans la précédente partie, on découvrait les différents protagonistes mauritaniens et français de la gestion du dossier qui a conduit à la légitimation du putsch en Mauritanie, dans la seconde partie, R. Bourgi nous emmène dans les méandres du sadisme politique et diplomatique au sein de la classe politique française où les revers se paient toujours cash. B. Kouchner, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères de France entre 2007 et 2010, est à l’heure du coup d’Etat de Mohamed Ould Abdelaziz. Il n’était pas en odeur de sainteté avec RB, sans doute parce qu’il savait de quoi était capable «la taupe». Dans la réalité, RB bénéficiait d’un bouclier, sans faille ; celui de C. Guéant, le véritable maitre à penser des machinations à l’Elysée.Son sort se scelle d’ailleurs avec l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée qui l’a investi secrétaire général de la présidence de la République française le 16 mai 2007, jour de sa propre investiture. C’est dire toute sa proximité politique avec le (nouveau) président de l’UMP, N.Sarkozy, élu en 2007. Un an seulement avant le pusch de Nouakchott.

Le dossier mauritanien a donc continué de constituer une pierre d’achoppement ou de règlement de compte entre les différents camps en présence sous N. Sarkozy dans leurs luttes d’influence internes.

Sur cette affaire et suite à une visite d’Etat de Mohamed Ould Abdelaziz en France, quelques semaines, après son élection, Kouchner tançait Alain Joyandet, secrétaire d’État chargé de la Coopération et de la Francophonie pour un dîner offert par Mohamed Ould Abdelaziz dans son luxueux hôtel parisien «Le Meurice». B Kouchner n’attendra pas la mise en place des couverts pour quitter les lieux en protestation de la présence de A Joyandet, invité personnel de Ould Abdelaziz. Guéant va encore faire des siennes en appuyant Joyandet au détriment du fringuant Kouchner. Ce dernier avait raison de se méfier de RB qui avait investi tous les rouages de la «françafrique». Il le saura encore plus à ses dépens quand le lendemain de cet incident de l’hôtel «Le Meurice », Sarko était au courant des cachets de 800.000 euros que Omar Bongo avait promis à Kouchner en contrepartie « d’études » à réaliser. Pour griller Kouchner, Bongo avait invité Robert Bourgi à l’entrevue, afin de faire remonter l’histoire jusqu’à N.Sarkozy. Le sadisme politique est toujours un puissant moteur pour justifier des règlements de compte. Kouchner avait perdu la face devant RB qu’il disait –pour le tenir par les bouts des doigts- ignorer. Mal lui en prit. Le chef d’orchestre n’avait pas perdu la main. Kouchner fera circuler en 2010 qu’il avait démissionné pour dénoncer des “humiliations” de la part “des conseillers” du Président. Les secousses telluriques du putsch en Mauritanie avaient ainsi remis en surface les « faiblesses » du personnel politique français face à l’argent sale venu d’Afrique.

Quelles que soient les motivations de l’auteur de «Ils savent que je sais tout », les accusations n’épargnent que rarement tout le personnel ou presque à un moment où les affaires africaines étaient « juteuses ». La Mauritanie n’a certainement pas dérogé à la même logique. Il faut bien s’expliquer l’origine de cette philanthropie de RB ! Même si l’on ne sait pas à quel intérêt, il évoque un placement d’un investissement personnel qui finira par lui rapporter, en perpétuant son «influence». A quel titre aujourd’hui ?

Retour à la suite de l’entretien concernant la Mauritanie.

 

Comment expliquer votre implication, une telle dépense de temps et d’énergie pour une mission à solde nul ?

Je travaillais toujours à mon influence. J’ai toujours été noté 20/20. On me savait très proche de Nicolas Sarkozy et de Claude Guéant. J’étais le seul interlocuteur capable de dénouer, sur l’Afrique, des demandes d’entretien non formalisées au plus haut niveau de l’État français, sans avoir à emprunter les coursives diplomatiques. Après la victoire de Mohamed Ould Abdel Aziz, Alain Joyandet a représenté le président de la République à la prestation de serment. J’étais présent à Nouakchott, mais toujours à titre officieux.

 

Comment la chute de Bruno Joubert est-elle actée ?

Aussitôt sa sortie de piste confirmée par Claude Guéant, le président Sarkozy a décidé de le remplacer. C’est un hyper-réactif.

Un reptilien. Lorsqu’il décide quelque chose, il le fait rapidement. Il a exigé qu’on lui trouve un point de chute tout en me demandant mon avis. Je l’ai prié de ne pas me mêler à cela. Bruno Joubert obtiendra l’ambassade de France au Maroc.

Quelle fut son erreur ? De tacler le chef d’état-major illégitime d’un pays étranger ?

Il faut rendre à César ce qui lui revient : Bruno Joubert fut un grand diplomate,  mais il a payé cher son culte de la diplomatie avec un «D» majuscule et son culte de l’éthique avec un «É» majuscule. En revanche, sur le fléau de la balance, son analyse était naturellement la bonne.

 

Comment a-t-il pris la chose ?

Tellement mal que je ne l’ai plus jamais revu. Il a toujours pensé que j’étais à l’origine de ses déboires. Pour la petite histoire, j’ai assisté, dix ans plus tard, aux obsèques de son père dont j’avais appris la disparition en parcourant les pages nécrologiques du Figaro. Je me suis rendu à titre amical à l’église, avenue Franklin Roosevelt, pour assister à l’office funèbre. Au moment de m’approcher de lui pour l’embrasser, il m’a repoussé devant toute l’assemblée. Je suis retourné vers Catherine, qui m’avait accompagné, avant de quitter les lieux, vexé. Après avoir raconté cet épisode, le lendemain, à Nicolas Sarkozy, il a de nouveau fait cette remarque : «Tu vois mon Robert, c’est ça les diplomates».

Comme ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy se contredit radicalement en matière de politique africaine, entre le discours empreints d’une volonté de changement et de pluralisme politique et les actes posés. Recevoir à l’Élysée un général à l’origine d’un coup d’État, quelques semaines avant le scrutin présidentiel auquel ce dernier se présente, est un précédent fâcheux.

Il assumait totalement ce type de contradictions.

Bruno Joubert est remplacé par André Parant, autre grand diplomate à la parentèle et au pedigree africain prestigieux.

Je le connaissais, mais ne suis jamais allé discuter avec lui. Encore une fois, j’avais affaire au Bon Dieu. Nul besoin de passer par ses conseillers.

Élu en juillet 2009, Mohamed Ould Abdel Aziz vient à Paris en novembre. Il n’assiste pas au dîner organisé en son honneur au Quai d’Orsay, mais préfère recevoir au Meurice, notamment le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner. Il organise lui-même ces agapes auxquelles le chef de la diplomatie française est convié. Bernard Kouchner a insisté pour qu’Alain Joyandet n’y assiste pas. Instruction que le ministre de la Coopération a refusé de suivre en demandant l’arbitrage de Claude Guéant.

Et pour cause : Alain Joyandet estimait être l’invité personnel du nouveau président mauritanien. Je faisais partie des heureux convives. Claude Guéant a demandé que les deux ministres prennent part à ce repas. Au tout début du dîner, Kouchner est venu à ma rencontre pour me saluer chaleureusement. «Le chef d’escale te salue Bernard ! » ai-je lancé.

 

Pourquoi ce trait d’humour ?

Depuis des mois, il n’arrêtait pas dire à qui voulait l’entendre qu’il ne me connaissait pas et qu’il ne m’avait salué qu’une seule fois dans sa vie sur le tarmac d’un aéroport. Or je le connaissais de longue date, notamment à travers les études fort rémunératrices sur la création d’un système d’assurances et de couvertures sociales qu’il avait faites pour le compte du Gabon et du Congo-Brazzaville.

Survient un clash : il refuse finalement d’assister à ce dîner et quitte la salle pour ne pas apparaître avec un président, selon lui, non légitime.

C’est du Kouchner, ni plus ni moins. En conformité avec son éthique: l’idéal socialiste aux multiples variantes.

Comment Mohamed Ould Abdel Aziz a-t-il réagi ?

Il n’a rien dit.

Et Alain Joyandet ?

En tant que ministre de la Coopération, il a joué le jeu. Il a tenu sa fonction.

Et Nicolas Sarkozy ?

Il a estimé que c’était du Kouchner. Il ne l’a jamais apprécié ni supporté. Pour lui, il s’agissait d’une prise de guerre. Rien de plus.

Éthique avec laquelle Bernard Kouchner a pris des libertés, en travaillant pour deux présidences très sujettes à caution du point de vue démocratique.

Les choses doivent être redites : c’est Omar Bongo qui a payé les deux études. Celle du Gabon et celle du Congo. Il a déboursé 800 000 €, montant évoqué avec Bernard Kouchner à son hôtel particulier, à Paris, rue Edmond Valentin, dans le 7e arrondissement, lors de sa venue en France en mai 2007. Pour cet entretien, le président gabonais avait souhaité ma présence. Dès qu’il m’a vu en rentrant dans la pièce, le chef de la diplomatie a été saisi d’étonnement. Omar Bongo m’a formellement demandé de rester.

Puis il a dit à Kouchner : «Bernard, je t’ai fait préparer ce que tu as demandé pour le travail effectué. Le veux-tu maintenant ? »

Gêné aux entournures, il a répondu à Omar Bongo que ce dernier étant à Paris plusieurs jours, il aurait l’occasion de le revoir. Le président du Gabon l’a informé que son aide de camp, le général Flavien Nzengui-Nzoundou, prendrait attache avec lui. Là-dessus, il est parti.

« Mais Papa, vous m’avez mis dans une sacrée situation ! » ai-je fait remarquer au président gabonais. Il m’a alors demandé de faire en sorte que Nicolas Sarkozy soit informé dans la soirée de la teneur de cette discussion.

Une précipitation calculée.

Et pour cause : le lendemain se tenait le conseil des ministres. Aussitôt dit, aussitôt fait : tout a été scrupuleusement rapporté. Le lendemain en conseil des ministres, Nicolas Sarkozy a salué tous ses ministres avant de demander à Kouchner si sa rencontre, la veille, à 20 h tapantes, avec le président Bongo, s’était bien déroulée. On m’a rapporté que le chef du Quai d’Orsay était livide. Son travail ne valait évidemment pas ce qu’il a facturé et perçu.

Tiré de “Ils savent que je sais tout”, page N° 403

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