Retraite en Mauritanie : Pourquoi le législateur laisse perdurer deux lectures diamétralement opposées de l’article 31 de la convention collective du travail ?

En matière de législation du travail, nombre d’analystes commencent à se poser la question si nous sommes dans un véritable État de droit ou dans une République bananière. En effet, malgré les récentes réformes économiques et sociales engagées par le gouvernement mauritanien, une faille majeure persiste dans l’application du droit du travail. Le calcul de l’indemnité de départ à la retraite (IDR), régi par l’article 31 de la convention collective de travail, fait l’objet d’interprétations radicalement opposées selon les employeurs, créant des inégalités criantes entre travailleurs de même ancienneté et salaire.
Alors que l’État affiche une certaine velléité de régulariser le personnel non permanent d’entreprises nationales comme (la SOMELEC, l’AMI, la Radio Mauritanie, la TVM…) et de renforcer la protection sociale ; il semble incapable de résoudre cette source d’injustice qui engorge les tribunaux de milliers de plaintes.
Une volonté de réforme et un cadre légal en évolution
Ces dernières années, le gouvernement a, sans conteste, adopté plusieurs mesures importantes visant à améliorer la protection des travailleurs :
-Revalorisations salariales et sociales : En décembre 2022, le Conseil des ministres a approuvé une augmentation notable du salaire minimum interprofessionnel garanti, le portant à 45 000 MRO, ainsi qu’une hausse de 66% des allocations familiales. Ces mesures s’adressaient à tous les travailleurs, des secteurs public et privé ;
-Renforcement des retraites : Une réforme majeure des pensions a été mise en œuvre, incluant le relèvement de l’âge de la retraite à 63 ans et une augmentation des pensions à 100% pour les fonctionnaires et les travailleurs du privé. Le plafond des cotisations a également été relevé, impactant directement le montant final des pensions ;
-Extension de la couverture sociale : Depuis février 2021, l’affiliation à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) est obligatoire pour tous les salariés, y compris les travailleurs temporaires ou occasionnels. Un régime d’assurance maladie volontaire a aussi été ouvert aux travailleurs non salariés depuis 2023 (CNASS).
Le cœur du conflit : La double interprétation de l’article 31 de la convention collective du travail
Malgré ce cadre en apparence protecteur, une divergence fondamentale dans l’application de la loi crée une fracture entre les salariés. Le conflit porte sur l’article 31 de la convention collective, qui stipule que l’Indemnité de Départ à la Retraite (IDR) est calculée “sur les mêmes bases et suivant les mêmes règles que l’indemnité de licenciement”.
Le désaccord porte tout particulièrement sur le mode de cumul des tranches d’ancienneté. L’interprétation majoritaire, défendue par les syndicats est que les pourcentages doivent s’additionner progressivement et cumulativement pour chaque période de service ; à l’image du calcul de l’indemnité de licenciement. Des employeurs, et pas des moindre, notamment la SNIM (Société Nationale Industrielle et Minière), continuent à appliquer une méthode non cumulative, n’accordant que le pourcentage de la dernière tranche ; ce qui fait perdre aux retraité quasiment 40% de leurs droits.
Impact financier des différentes méthodes de calcul de l’IDR
Cette différence de calcul a des effets concrets lourds sur les droits et la vie des retraités. C’est ainsi, qu’à ancienneté égale, un cadre de la SNIM pourrait toucher la même indemnité qu’un gardien de la CNSS pourtant bien moins rémunéré, mais bénéficiant de la méthode cumulative. Plus frappant encore, les retraités de la SAMIA, une filiale de la SNIM, perçoivent une indemnité bien supérieure à celle de leurs collègues de la maison mère, car cette filiale a adopté la “bonne formule”.
Un système judiciaire engorgé par les plaintes
Cette insécurité juridique a conduit à une judiciarisation massive des litiges. Depuis 2010, près de 2000 plaintes de retraités de la SNIM seraient en souffrance dans les tribunaux de Nouakchott. Pourtant, la jurisprudence existe : dès 2010, un groupe de retraités SNIM avait obtenu gain de cause devant la justice. Un verdict exceptionnel qui n’a cependant pas été généralisé, et qui est resté comme un « One-Hit Wonder » ou succès sans lendemain.
Face à cette situation, les syndicats et observateurs appellent à une intervention claire de l’État. Leur demande centrale est une harmonisation impérative de l’application de l’article 31 sur tout le territoire national et pour toutes les entreprises.
Vivement un nouveau pacte social !
Certes, la récente régularisation des contractuels dans le secteur public est une avancée. Cependant, elle risque de rester un geste incomplet si l’État ne s’attaque pas aux racines structurelles de l’injustice qui minent la crédibilité de tout le droit du travail. Dans ce cadre, il est impératif que le législateur prenne les mesures de correction telles que :
-Une harmonisation législative : Une clarification ou une réforme de la convention collective est nécessaire pour mettre fin aux interprétations arbitraires ;
-Une justice efficace : Le traitement accéléré des milliers de dossiers en attente est une urgence pour restaurer la confiance ;
-Une réforme inclusive : Comme le soulignent de nombreux analystes, le système doit aussi mieux protéger les travailleurs “invisibles”, comme les travailleurs de l’informel, et repenser la fonction publique pour en faire un moteur de mobilité sociale plutôt qu’un simple employeur-refuge.
En définitive, la Mauritanie se trouve à un carrefour. Elle peut choisir de laisser perdurer un système à deux vitesses, où les droits sociaux fondamentaux dépendent du bon vouloir de l’employeur ; ou saisir l’opportunité de construire un nouveau pacte social fondé sur l’équité, la sécurité juridique et la dignité pour tous les travailleurs, notamment au moment crucial du passage à la retraite. La balle est désormais dans le camp du législateur et du gouvernement pour trancher, une fois pour toutes, cette question et donner un sens plein aux réformes engagées.
Mohamed Ahmed EL KORY
Économiste, Expert en Propriété Intellectuelle
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