Le printemps de Bretton Woods : Mission délicate pour le gouvernement
«Tout ce qui pousse au printemps est bon pour la soupe» serait-on tenté de dire comme le prétend le vieil adage. Une sagesse que tenteront de perpétuer, du 10 au 16 avril courant, les réunions du Groupe de la Banque Mondiale et le Fmi. Mais pour passer à la soupe, à moins d’un cheveu dedans, il faut en payer le prix sonnant et trébuchant. C’est, en tout cas, la seule devise qui vaille au 1818, H Street et au 700 19th Street, N.W. Washington, D.C. sièges respectifs de la BM et du Fmi.
A Washington tout le monde se bouscule pour accéder au guichet de la BM et du Fmi. La délégation mauritanienne n’est pas en reste et notre ambassadrice, Cissé Mint Baida, est à toutes les sauces. Elle ne ménage son calepin pour frayer un chemin vers la soupe. Un événement du genre se prépare de longue date. Et notre ambassadrice installée depuis quelques années aux Usa connait désormais les rouages des administrations comme son sac à main.
Au regard de son activité, la délégation gouvernementale mauritanienne, composée de la troika des argentiers de l’Etat, O.M. Kane, Ministre des affaires économiques et de la promotion des secteurs productifs, Isselmou Ould M’Badi, ministre des finances et Mohamed Lemine Ould Dhehbi, gouverneur de la Banque centrale, semble avoir mis les bouchées doubles multipliant les rencontres et séances de travail et nouant aussi des contacts tous azimuts pour défendre son dossier parmi des centaines de courtisans venus des quatre coins du monde à la recherche du «pain béni».
Avec le soutien de cadres issus du sérail des institutions comme SE Samba Thiam, ambassadeur ou encore Mohamed Lemine Raghani, chargé de mission auprès du PM, la troika forme, sans doute, l’une des meilleures équipes jamais envoyées défendre un dossier d’aide publique au développement hautement technique auprès des institutions de financement. La troika gouvernementale compte également sur son statut de représentants d’un gouvernement « sérieux » qui respecte ses engagements! De plus, à la tête du G5Sahel, la Mauritanie a encore ce chapeau et une mission à faire valoir à la pointe du combat contre le terrorisme rampant vers le reste du monde.
Mais il faut quand même rappeler que les assises actuelles se tiennent alors que les pays à faibles revenus, durement touchés par la crise sanitaire de la Covid, comme les pays subsahriens réalisent, pour la seconde année consécutive et en dépit des beaux discours de « solidarité agissante » des pays nantis, une baisse de 7% l’aide publique au développement (APD) qui leur était dévolue. Encore une fois, l’Ukraine leur ravit la vedette en s’octroyant la moitié (16 milliards Usd) de leur allocation de 34 milliards Usd pour toute l’Afrique subsaharienne. Même si le FMI avait inauguré une rallonge de financement sans intérêt par le biais du Fonds fiduciaire pour la croissance et la réduction de la pauvreté, force est de constater que les efforts en direction des pays les plus pauvres sont en dessous des besoins et des attentes. C’est dans cette conjoncture d’un écosystème financier mondial qui se cherche encore et violemment secoué par l’instabilité financière (affaire de la Silicon Valley) que les projections de croissance mondiale sont d’ailleurs au plus bas (2.8%).
Comme toutes les délégations du monde, notre troika gouvernementale est donc lancée sur un terrain et un contexte difficiles souvent expliqué par les pays riches par les pressions budgétaires sur leurs économies et l’irrespect des engagements souscrits au APD. Il faut donc bien plus de capacité de persuasion et de gages de crédit que d’ordinaire si l’on espère que les institutions internationales accordent une prime au travail économique titanesque rabattu par le gouvernement Ghazouani après la récession de 2020.
Sortir du cercle vicieux de la dette
Comme pour nombre de pays africains, la Mauritanie, malgré une résilience à la pandémie, relativement acceptable, continue de ressentir le poids financier de la Covid sur son économie. De plus les effets pervers de la crise ukrainienne sur l’approvisionnement du pays en denrées, sur les coûts de l’énergie et du fret, ont fragilisé sa convalescence et aggravé une inflation galopante doublée d’une dette suffocante. Si pour les premiers aspects, le gouvernement n’a pas d’emprise sur ces événements mondiaux, il reste engagé avec ces mêmes partenaires de Bretton Woods sur des programmes de réformes qui ont abouti à atténuer les propensions de l’inflation, autour de 10% en janvier 2023, grâce notamment à la gestion prudente par la BCM de son taux directeur et de sa réserve monétaire. Un rôle qui n’a pas échappé au vice-président du Fmi lors de son passage à Nouakchott. Mais l’économie nationale reste, par ailleurs, engluée dans sa dette extérieure notamment multilatérale qui représentait 63% des créances de l’Etat en 2020 contre 37% de dette bilatérale.
Mais il faut cesser de tourner autour du pot dans les négociations de la dette car sans une solution volontariste des créanciers à cette dette et à son encours 4.397,2 millions Usd, soit 44,2% du PIB, la dette publique (et sa soutenabilité) pèsera toujours comme une chape sur les efforts d’émancipation économique du pays d’autant qu’elle est accentuée par d’autres pressions inflationnistes externes comme la fluctuation du dollar et celle sur les chaines d’approvisionnement en produits, que les autorités nationales ne maitrisent en rien. Le gouvernement n’est donc passible que pour l’efficacité des réformes de commun accord auxquelles il s’est attelé dans la gestion publique pour améliorer la transparence budgétaire et l’efficacité de la dépense, préserver la liquidité bancaire, le contrôle du système bancaire et financier, la lutte contre le blanchiment de capitaux et financement du terrorisme…
Une économie prometteuse
La troika est donc allée au four pour ces réunions du printemps de la BM et du Fmi. Outre, les questions idoines en relation au frein à la reprise caractérisé par les dettes et la tension inflationniste mondiale, la délégation mauritanienne fera, sans doute valoir le potentiel, les opportunités et perspectives économiques alléchantes du pays dont les premières exportations gazières sont prévues en fin d’année (Gta). Il est vrai qu’on ne prête qu’aux riches. Mais, en sus de la mobilisation de capitaux, richesse signifie surtout potentiel, climat des affaires, dynamisme, démocratie…Beaucoup d’attraits dont notre pays dispose encore. La croissance et le partage de richesses sont donc attendus malgré le contexte d’une architecture financière mondiale toujours plus complexe. Cette croissance a été tirée par le secteur des services en 2022. Sur le registre des exportations, le secteur secondaire a vu la production de l’or s’établir à 36.1% de l’ensemble des exportations pour une valeur de 11,87 milliards MRU. Les exportations aurifères sont suivies par celles du Fer qui représenteraient 33.5% des exportations totales du pays pour une valeur de 11,2 milliards MRU. Alors que pour le secteur primaire, les exportations halieutiques enregistrent 24.7% des exportations totales.
Outre des politiques sectorielles cohérentes où l’Etat développe des mécanismes de suivi et d’évaluation sérieux appropriés et où le secteur privé à un rôle moteur à jouer et, les atouts économiques de notre pays sont aussi sa stabilité politique, la diversification des secteurs productifs (services, agriculture, mines, pêches, énergies fossiles et hydrogène vert…) et sa façade atlantique.
Espérons qu’avec cette carte de menu des opportunités et des gisements nationaux, la moisson des investissements sera au diapason des attentes de la mission officielle.
JD