Histoire de coup d’Etat en Mauritanie: R Bourgi est passé par là!

La vie politique en Mauritanie a, elle aussi, nourri la tumultueuse époque de la « françafrique ». Au centre des révélations de R Bourgi, les soubresauts de la gestion du putsch d’août 2008 contre feu Sidi Ould Cheikh Abdellahi. Les sulfureux témoignages de R. Bourgi, l’homme par qui tous les scandales de la « France-à-fric » sont passés, reviennent sur les fracas de la « légitimation » d’un putsch qui fera encore une victime en France, Bruno Joubert, conseiller Afrique de l’Élysée, pour s’être opposé, non sans virulence de propos, au coup d’Etat dans notre pays.

Un entretien fleuve. Il ne pouvait en être autrement pour R. Bourgi dont la vie et la carrière embrassent tout le continent africain, avec ses hauts et ses bas. Sous forme donc d’un entretien dirigé par notre confrère, Frédéric Lejeal, « Ils savent que je sais tout», les mémoires de R Bourgi se veulent un témoignage aux relents de provocation. L’interview revient sur une longue période de vies politiques mouvementées où l’argent, les intrigues et les coups de poignard dans le dos sont légion au sein de la classe politique française. Si le RPR et feu Chirac en prennent pour leurs galons, les observateurs s’interrogent à une encablure de la prochaine élection française, sur cet examen de conscience auquel se livre R Bourgi. Une chose est sûre; il n’a jamais porté dans son coeur Dominique de Villepin. Le texte est-il un sacerdoce pour retrouver bonne conscience ? Le livre autour de la carrière et de la vie de R. Bourgi recèle bien des zones d’ombre. Naviguant en plein dans les micmacs politiques, l’interventionnisme de la métropole et même les coups d’Etats, R Bourgi qui se défend d’avoir touché aux mallettes qu’il convoyait, encore moins aux largesses des « sommités » qui peuplent son agenda cherchant une entrée à l’Elysée ou à Matignon, se présente sous son meilleur jour…Difficile de croire que ce témoin, présent à toutes les affaires de corruption de la classe politique française, ne se soit pas éclaboussé au milieu de tant de privilèges indus. Mais gageons qu’il a été un « ascète », il ne pouvait travailler sans ristournes pour se présenter en faiseur de rois.

Bref, dans cette profusion de « missions délicates » entre l’Afrique et l’ancienne métropole, notre pays a eu, lui aussi, droit au chapitre. Le 21ème de cette saga politco-financière. C’était à l’occasion du putsch du 6 août 2008. R. Bourgi y ressasse son rôle et les circonstances abracadabrantes pour faire aboutir le putsch militaire en période de démocratisation. Certaines étapes sont notoires mais d’autres sont restées bien camouflées. Extraits.

 

 Chapitre 21 : Des putschistes à l’Élysée

En août 2008, le coup d’État du général Mohamed Ould Abdel Aziz, en Mauritanie, va être suivi de très près par l’Élysée et créer plusieurs mini-crises diplomatiques. Quelques semaines après ce putsch, vous introduisez auprès de Claude Guéant un parent du nouvel homme fort à Nouakchott, l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou. Comment le rapprochement s’est-il effectué ?

J’avais vécu plus de deux ans en Mauritanie pour enseigner à l’École nationale d’administration de Nouakchott, mais je ne connaissais pas cet homme d’affaires influent et cousin du général Mohamed Ould Abdel Aziz. J’ai fait sa rencontre quelques jours après le coup d’État, via mon ami Abbas Jaber.

Il m’a contacté alors que nous nous trouvions tous deux en vacances, à Saint-Tropez. Il voulait me le présenter. Mohamed Ould Bouamatou est venu à mon hôtel pour m’expliquer les raisons du putsch, arguant que le président renversé, Sidi Ould Cheik Abdallali, quoique légitime, était devenu très impopulaire.

Par cette démarche, il souhaite clairement que le nouveau régime, mis au ban de la communauté internationale, soit adoubé a fortiori par Nicolas Sarkozy en sa qualité de président de la France et de l’Union européenne.

Oui. Il m’a également demandé de faire en sorte que le chef d’état-major de l’armée mauritanienne, le général Mohamed Ould Ghazouani126, qui avait été révoqué par le président défait, soit reçu à l’Élysée. Je lui ai demandé 24 heures. J’ai ensuite sollicité un entretien auprès de Claude Guéant.

Il a immédiatement accepté de recevoir l’homme d’affaires, en ma présence ainsi que celle du général Mohamed Ould Ghazouani. Le chef d’état-major m’avait été présenté juste avant l’audience. J’avais préalablement organisé un petit-déjeuner au Bristol, auquel tout ce petit monde fut convié en plus de Karim Wade et d’Alain Joyandet.

Ce dernier était d’ailleurs fort embarrassé, car sans demande d’audience officielle.

Avec cet entretien au coeur de l’Élysée, vous travaillez à la légitimation d’un régime issu d’un coup d’État.

L’entretien s’est fort bien déroulé. Du moins dans un premier temps. Karim Wade s’est retiré au tout début, car, ministre d’État, il ne souhaitait pas apparaître comme partie prenante dans le dossier.

D’emblée, Mohamed Ould Ghazouani m’a fait une très forte impression. Il avait des yeux bleus persans. Un port altier. Il a expliqué par le menu les raisons du putsch et a fait un point de la situation sur place, en précisant que la junte était soutenue par les grandes familles – les grandes tentes – mauritaniennes.

Cette discussion, ajoutée au décryptage de la situation que je lui avais faite, a séduit Claude Guéant. Conseiller Afrique de l’Élysée, Bruno Joubert s’est joint à nous après une demi-heure. Il semblait absolument horrifié par la scène. Un diplomate se retrouvant nez à nez avec un général putschiste : imaginez la scène ! Je réaffirme ce que j’ai dit plus haut : Bruno Joubert fut, selon moi, le meilleur conseiller Afrique de la présidence française de ces vingt-cinq dernières années, mais la situation ne manquait pas de piquant. Il s’est demandé quel piège lui avait été tendu.

Mohamed Ould Ghazouani a redéveloppé le même discours et les mêmes réflexions. Claude Guéant a demandé à Joubert son avis.

Ulcéré, le diplomate a répondu plutôt sèchement : « Monsieur le secrétaire général, l’Union européenne rejette le

pouvoir du général Mohamed Ould Abdel Aziz. Il n’est pas pensable que le président de la République puisse accepter cette situation. En outre, le général Mohamed Ould Ghazouani fait partie de ceux qui ont précipité la chute du président Abdallali ».

Ce qui n’était que vérité.

Difficile de dire le contraire. Mohamed Ould Ghazouani était effectivement un « putschiste » reçu à l’Élysée. Sa réaction fut terrible. Il a foudroyé le conseiller diplomatique du regard en lui intimant de ne pas lui parler sur ce ton. Voyant que la situation se tendait, Claude Guéant s’est tourné vers Alain Joyandet, ministre de la Coopération, pour lui demander ce qu’il pensait du contexte mauritanien.

Le pauvre était dépassé par les événements (rires). Il s’est rangé à mon avis en affirmant que le putsch était motivé par l’impopularité du régime sortant. La réunion a pris fin. Claude Guéant a réaffirmé que je continuerai de faire le lien avec Paris. Ensuite, nous sommes retournés au Bristol, cette fois-ci pour déjeuner. Bruno Joubert a quitté la réunion très préoccupé.

Une nouvelle illustration d’un sérieux court-circuitage de la diplomatie.

Il faut l’admettre, mais les plus grandes figures du nouveau régime mauritanien sont toutes passées par moi. Elles ne pouvaient décemment approcher le Quai d’Orsay, sous peine d’obtenir une fin de non-recevoir.

Ce putsch était rejeté par l’Union européenne ou encore les États-Unis. N’avez-vous aucun état d’âme à introduire ses principaux responsables à la présidence française ?

Aucun. J’ai suivi l’enseignement de mon maître en la matière.

Ce dossier marque le début de la fin pour Bruno Joubert comme conseiller Afrique de l’Élysée.

Nicolas Sarkozy est rentré de ses congés. Claude Guéant l’avait évidemment tenu au courant de la rencontre et de sa tonalité. Il m’a fait convoquer pour me demander de ce que j’en pensais de vive voix. Après avoir pris plusieurs contacts à Nouakchott, j’ai réaffirmé l’importance de jouer la carte Mohamed Ould Abdel Aziz. Claude Guéant était sur la même ligne. Puis les tensions avec Bruno Joubert ont été évoquées. J’ai dit à Nicolas Sarkozy que son comportement envers Mohamed Ould Ghazouani m’avait paru discourtois, pour ne pas dire incorrect.

D’ailleurs, ce dernier me confiera plus tard qu’il avait failli en venir aux mains. Je sentais que le président de la République prenait mon parti. Il a demandé la libération du président Sidi Abdallali tout en attendant la présidentielle de 2009. Ce qui ne l’empêchera pas de recevoir le candidat Abdel Aziz à l’Élysée, en juin de la même année, quelques semaines avant le scrutin, ce qui jouera comme une reconnaissance officielle.

 

Avant ce scrutin, Claude Guéant reçoit de nouveau Mohamed Ould Ghazouani, en février 2009, accompagné du ministre des Affaires étrangères mauritanien, Mohamed Ould Mohamedou, en présence du directeur de la DGSE, Érard Corbin de Mangoux et vous-même.

Absolument.

Pourquoi la présence du patron de la DGSE sur ce dossier, et pourquoi avec vous ? C’est l’un des très rares entretiens auquel vous assistez sous ce format.

Je ne me souciais pas du patron de la DGSE. L’entretien se déroulait avant tout avec Claude Guéant en sa qualité de secrétaire général de l’Élysée. On assistait néanmoins à la montée du terrorisme islamique au Sahel. La Mauritanie fut l’un des premiers pays à être impacté, après un attentat suicide devant l’ambassade de

France à Nouakchott, en juin 2009, et surtout la mort, deux ans auparavant, en décembre 2007, de quatre touristes français. Autant dire que le dossier « Mauritanie » a été rapidement confié aux services plutôt qu’au Quai d’Orsay.

Après cet entretien, Claude Guéant a joint Mouammar Kadhafi, président de l’Union africaine (UA), qui a reconnu le nouveau régime mauritanien.

Je n’ai pas été informé d’un tel coup de fil. Je l’ai appris plus tard par la voix du général Ghazouani.

Le positionnement de Kadhafi convainc-t-il davantage la France de légitimer Mohamed Ould Abdel Aziz ?

On peut dire cela.

En France, beaucoup de mouvements s’élèvent contre ce putsch, y compris à l’Assemblée nationale.

J’ai été étrillé par la presse, mais j’ai fait mon travail.

En juin 2009, Mohamed Ould Abdel Aziz est reçu à Paris.

Je n’ai rien organisé. Nous avons eu un petit-déjeuner, un samedi matin, avec lui. Y assistaient Claude Guéant, Mohamed Ould Bouamatou et moi-même.

Les Mauritaniens vous paient-ils ?

Je n’ai jamais reçu un seul sou de leur part.

Tiré de R. Bourgi “Ils savent que je sais”, page 398.

NB: Au sujet du cachet perçu, ce n’est pas ce qui se racontait à Nouakchott

Nous reviendrons sur la fin des déclarations de R. Bourgi concernant la Mauritanie dans une prochaine livraison

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