“Marges de vérité”: Le “révélateur psychotrope” !

Parmi les soubresauts les plus récents de la gouvernance sécuritaire en Mauritanie, l’opération de démantèlement, par les forces de gendarmerie, d’un archipel clandestin d’entrepôts pharmaceutiques dans la métropole nouakchottoise – incluant hallucinogènes, neurotoxiques, aphrodisiaques et autres substances non homologuées – constitue un révélateur brut de l’écosystème pharmacopolitique de la sous-région.
L’instantanéité du fait divers dissimule, comme toujours, une stratification complexe des enjeux. Ce que les commentateurs pressés nomment « contrebande » s’inscrit, en réalité, dans une logique de redistribution parallèle du soin – ou du simulacre de soin – à travers des circuits qui échappent au diagramme westphalien de la souveraineté sanitaire. L’émergence de cette économie souterraine du pharmakon, au sens derridien du terme – remède et poison à la fois – interroge les régimes d’autorité qui structurent l’accès au corps médicalisé des populations en périphérie de l’État.
Or, c’est dans ce contexte trouble que se cristallise l’intervention performative du Premier ministre Mokhtar Ould Djay. Réuni avec le comité interministériel chargé du dossier des médicaments, le chef du gouvernement ne se contente pas de saluer les dispositifs opérationnels mis en branle par les corps répressifs. Il engage une dialectique de la convergence sectorielle – appelant à une co-construction régulatoire entre sphères publique et privée – et manifeste ainsi une volonté de produire un continuum normatif intégrant les logiques de marché et les impératifs de contrôle.
Mais à bien y regarder, cette mobilisation du lexique de l’efficience dissimule une opération de réassignation discursive. Ce qui est présenté comme un progrès dans la régulation pharmaceutique (enregistrement, numérisation, encadrement logistique) constitue en réalité une tentative de reprise hégémonique du biopouvoir, dans un champ longtemps délaissé à l’informalité. Le pharmaceutique devient ici un vecteur de souveraineté reconquise, non pas seulement sur les substances, mais sur les subjectivités qu’elles modulent : corps jeunes, marginalisés, précarisés, souvent livrés à une pharmacopraxie de survie.
La cartographie clandestine ainsi révélée – entrepôts dans les interstices urbains de Sebkha et d’ailleurs – met en lumière une ville double, fractale : Nouakchott officielle, traversée de projets, de réglementations et de discours, et Nouakchott officieuse, traversée de flux illicites, d’archivages informels du soin, de pharmacologies nocturnes. La traque des suspects en fuite devient alors métaphore : il ne s’agit pas seulement de neutraliser des individus, mais de discipliner un espace, d’assainir une subjectivité collective.
Le Premier ministre, en investissant ce champ lexical de la coordination rigoureuse, de l’effort conjugué, de la réglementation renforcée, performe une fonction méta-institutionnelle : celle de produire du visible, du lisible, du légitime, là où régnaient jusqu’alors les opacités de la marge. Mais le problème est moins celui du contrôle des stocks que celui, plus fondamental, du rapport entre régulation politique et angoisse sociale : à quoi répond ce besoin massif de substances interdites ? Quel vide vient combler ce pharmakon clandestin ?
Le discours gouvernemental, s’il est à la fois lucide et résolu, gagnerait à articuler les enjeux de sécurité à une lecture systémique de la demande sociale. Car à défaut d’interroger les fondements psychosociaux de cette économie parallèle – désespérance, vacuité des horizons, fragilité des soins légitimes – on court le risque de reconduire, sous couvert d’efficacité, les logiques classiques du symptôme refoulé.
La Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv