“Marges de vérité”: Au-delà des passions!

Dans une décision qualifiée à la fois de “symbolique” par certains et de “juridiquement problématique” par d’autres, la Chambre criminelle de la Cour d’appel de Nouakchott a confirmé ce mercredi la condamnation de l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz à quinze années de réclusion, dans le cadre du procès dit du “dossier de la décennie”. Cette sentence, bien au-delà de sa résonance politique, soulève des interrogations d’ordre purement juridique, que seul un regard strictement normativiste peut tenter de disséquer sans passion.
Traditionnellement, en droit comparé comme en droit mauritanien, la mission d’une juridiction d’appel est d’exercer un contrôle sur la régularité du jugement rendu en première instance. Ce contrôle peut être limité au droit ou s’étendre aux faits selon la nature de la juridiction et les règles applicables à la matière concernée. Dans le cas d’espèce, la Chambre criminelle de la Cour d’appel a réexaminé les charges, les moyens et les éléments de preuve, et a prononcé une nouvelle peine.
Or, certains commentateurs avancent que la Cour d’appel “n’est pas habilitée à prononcer un verdict”, mais uniquement à confirmer ou infirmer la décision initiale. Cette lecture, pour séduisante qu’elle puisse paraître sur le plan discursif, méconnaît les prérogatives de la chambre criminelle d’appel qui, en matière répressive, dispose du pouvoir de réformer substantiellement une décision, y compris en alourdissant la peine. En effet, l’article 508 du Code de procédure pénale mauritanien confère à la juridiction d’appel une pleine compétence de réexamen, tant en fait qu’en droit, sauf exceptions expresses.
Ainsi, sauf à démontrer une incompétence matérielle ou une violation manifeste de procédure, la Cour n’a pas outrepassé son rôle en prononçant un verdict réformé.
L’un des piliers de la défense consiste à invoquer l’article 93 de la Constitution mauritanienne, lequel dispose que “le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison devant la Haute Cour de Justice”. Cette immunité fonctionnelle est certes constitutionnelle, mais elle est loin d’être absolue.
La jurisprudence comparée, notamment celle issue de la Cour constitutionnelle française, admet que la responsabilité pénale post-mandat peut être engagée pour des faits détachables de la fonction présidentielle, c’est-à-dire des actes relevant du droit commun et non de l’exercice des pouvoirs régaliens. Le Conseil constitutionnel mauritanien, dans sa décision n°2024/009, citée par le collectif de défense comme “sans appel”, semble avoir admis, même implicitement, que les infractions reprochées à Ould Abdel Aziz — enrichissement illicite, blanchiment d’argent, abus de fonction — pouvaient être détachées de l’exercice présidentiel et donc poursuivables.
Il convient donc de relativiser l’autorité du texte constitutionnel dans ce contexte précis : si l’acte incriminé est dénué de lien avec la fonction, l’article 93 ne saurait servir de bouclier absolu.
Le collectif de défense qualifie le procès d’”agression politique”, fondé sur des “calculs vindicatifs”, dénonçant une instrumentalisation du droit pénal à des fins de neutralisation politique. Cette thèse — courante dans les affaires impliquant des chefs d’État déchus — repose sur une logique de victimisation et vise à délégitimer le processus judiciaire en lui attribuant une téléologie partisane.
Toutefois, la genèse du dossier montre un enchaînement de procédures, certes inédites, mais prévues par le droit parlementaire : amendement du règlement intérieur, création d’une commission d’enquête, transmission au parquet. L’argument d’irrégularité originelle — fondé sur le faible nombre de députés ayant porté la demande d’enquête — pourrait éventuellement alimenter une critique politique, mais il n’infirme pas la validité juridique du mécanisme, dès lors qu’il a été adopté et appliqué selon les règles en vigueur.
Le député du FRUD Mohamed Lemine Sidi Maouloud, membre de la commission d’enquête résume une vision duale du procès : il reconnaît la légitimité morale de l’enquête sur une décennie de soupçons de mal gouvernance, mais déplore l’effondrement procédural du dossier. Il parle d’un “parcours déviant”, d’une “manipulation” dès la transmission à la police, et d’une “hypothèque des droits du peuple”. Ces expressions, aussi puissantes soient-elles, relèvent davantage du discours critique que de la qualification juridique.
Mais elles révèlent un point essentiel : au-delà de la régularité formelle de la procédure, c’est la crédibilité structurelle de l’appareil judiciaire qui est en jeu. Un procès, pour être juste, ne doit pas seulement l’être, il doit également le paraître. Et sur ce terrain, les irrégularités alléguées (non-convocation de certains accusés, vice de forme, traitement différencié) pourraient affaiblir l’acceptabilité sociale du jugement.
Le collectif de défense semble se préparer à des recours plus larges : il pourrait soit relancer l’exception d’inconstitutionnalité au niveau interne, soit invoquer des violations des droits fondamentaux devant les juridictions régionales, comme la Cour africaine des droits de l’homme.
Mais une chose est certaine : au-delà de son contenu punitif, cette décision pose une question nodale sur le statut du droit dans la transition post-autoritaire. Est-il un outil de vérité ou une arme de revanche ? Est-il un rempart contre l’impunité ou un théâtre de légitimation du pouvoir ? Seuls les prochains épisodes du feuilleton judiciaire mauritanien permettront de répondre — peut-être — à cette interrogation.
Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv

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