Un scandale de trop qui dit tout

Depuis plusieurs jours, Nouakchott vit au rythme d’un récit qui circule comme une onde de choc. Sur les réseaux, dans les rédactions et jusque dans les salons les plus discrets de la capitale, une affaire éclate, se propage, se précise. Des documents révélés ; présentés comme authentiques par ceux qui les relaient ; décrivent un marché public d’une importance cruciale attribué dans des conditions que beaucoup qualifient déjà d’indéfendables.
Le plus troublant n’est même plus le contenu des accusations, mais la simplicité avec laquelle certains auraient pu contourner des procédures essentielles, comme s’il s’agissait d’un exercice quotidien.
Le sujet est suffisamment sensible pour que l’on s’en tienne à la prudence, mais suffisamment clair pour que toute la République en devine les contours.
Ce qui indigne aujourd’hui, ce n’est pas l’existence d’un scandale :
c’est le sentiment profond que ce scandale n’est qu’un symptôme parmi d’autres.
Car enfin, depuis des décennies, combien de nominations ont été perçues comme de simples promesses d’enrichissement continu ?
Combien de responsables, déjà détenteurs de fortunes colossales ; demeures somptuaires, immeubles à répétition, commerces aux revenus inexplicables; ont été propulsés à des positions où l’intérêt général exige pourtant une probité irréprochable ?
Et à quel moment a-t-on pensé que ceux qui ont bâti des empires personnels sur l’argent public deviendraient soudain des modèles de vertu ?
La réponse est évidente.
Et l’opinion publique, aujourd’hui, la renvoie au pouvoir.
Le chef de l’État, dans ses déclarations les plus récentes, notamment à Tombédra, a exhorté les citoyens à dénoncer la corruption où qu’elle se trouve. Nous prenons cette parole au sérieux : nous dénonçons. Nous faisons exactement ce que la plus haute autorité du pays nous a demandé de faire. Il appartient désormais au pouvoir d’assumer la suite.
Or, c’est là que réside la véritable épreuve. On ne peut pas d’un côté promettre la rupture, et de l’autre garder autour de soi ceux dont le train de vie, les méthodes et le passé sont devenus de véritables symboles de la prédation publique. On ne peut pas exiger des Mauritaniens une confiance aveugle tout en distribuant les postes stratégiques à des acteurs dont les pratiques seraient familières à toute la République.
Cette affaire ; si les faits étaient confirmés ; met surtout en lumière une réalité profonde :
les cadres honnêtes, compétents, intègres, ceux dont le pays a le plus besoin, sont trop souvent relégués dans l’ombre.
À la place, on hisse au sommet des profils déjà entourés de zones grises connues de tous. Comment s’étonner ensuite que les mêmes causes produisent les mêmes catastrophes ?
Il y a dans ce double discours un danger que plus personne ne peut ignorer. D’un côté, la promesse d’un État assaini ; de l’autre, la permanence de réseaux qui se transmettent marchés, privilèges et immunités comme un héritage quasi familial. Ce jeu-là, la nation le voit, le connaît, le comprend ; et désormais, elle le dit.
Les Mauritaniens n’attendent plus de mise en scène.
Ils veulent du courage.
Pas celui d’arrêter des anciens hauts responsables, des années plus tard, ceux qui ont sombré depuis longtemps dans l’impunité : « le médecin après la mort », comme le dit l’adage.
Non : le courage véritable consiste à intervenir maintenant, à sanctionner ceux qui sévissent encore, à stopper la saignée pendant qu’elle a lieu, pas après.
Le moment est donc historique.
Le chef de l’État a invité à dénoncer.
Le peuple a dénoncé.
Il reste une dernière étape, la plus cruciale : agir.
Car si ce scandale révèle quelque chose, c’est ceci :
la République n’a plus peur de nommer ce que tout le monde sait.
Et elle n’acceptera plus que ceux qui profitent du système se cachent derrière leur fonction pour continuer à le dévorer.
Haroun Rabani
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