“Marges de vérité”: Ne pas se fier aux apparences!

C’est l’histoire d’un camion qui roulait droit dans le décor, sauf que le décor, cette fois, c’était une frontière — avec ce qu’elle a encore de sacré quand l’État s’en souvient. Un mastodonte chargé de briques, venu tout droit du royaume voisin, et qui, à première vue, n’avait rien d’autre à déclarer que du ciment. Sauf qu’en grattant un peu, sous les couches de poudre grise et les faux joints, c’était pas des fondations qu’on transportait, mais de quoi pulvériser des générations entières à coups de stupéfiants. Du lourd, bien enveloppé dans le béton.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Direction le Trarza, sur la route entre Rosso et Boghé. Un autocar fatigué, transportant des légumes défraîchis. Classique. Sauf que cette fois, les aubergines cachaient un arrière-goût écossais : 1197 bouteilles de whisky soigneusement planquées sous les patates. Une demi-tonne d’alcool frelaté qui voyageait comme si de rien n’était, dans une République où, officiellement, le mot “whisky” appartient à la géographie interdite.
Le commissaire de Tékane, un certain Mohamed Mahmoud Ould Hjour, a flairé l’entourloupe. Et pour une fois, la routine a viré au coup d’éclat. Le chauffeur et son acolyte, pas très bavards mais bien chargés, ont été cueillis comme des carottes trop mûres. L’enquête est lancée, les interpellations pleuvent, et les suspects en fuite ne courent pas très loin : ils courent dans un pays où les frontières sont des passoires à géométrie variable.
Ce n’est plus une contrebande. C’est une logistique parallèle, un système B plus performant que le système A. Ciment, légumes, aspirines ou whisky, tout transite, tout circule.
Et pendant qu’on saisit ici et là quelques kilos d’illégalité, pendant que l’on communique à coups de tableaux de bouteilles alignées sur des tapis rouges, le fond du problème, lui, reste intact : la douane, censée être la vigie de l’État, est parfois le sas de ses renoncements. Non pas par incompétence — il y a des héros dans chaque poste frontière — mais par abandon structurel.
Alors oui, on peut se réjouir de ces saisies. C’est déjà ça. Mais que personne ne se leurre : tant que les murs sont creux et les sacs trop lourds pour être fouillés, tant que les douanes restent des décors et non des digues, la République sera toujours vulnérable — à ses marges comme à son centre.
Parce que le vrai trafic, celui qui nous ruine, n’est pas celui des bouteilles, c’est celui des complicités.
Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv

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