Vers le gouffre : Israël, l’Iran et l’effondrement moral de l’Occident

L’Occident ne sombre pas sous les coups de ses ennemis, mais sous le poids de ses trahisons et de son hypocrisie. En s’agenouillant devant un État colonisateur en pleine dérive génocidaire, il abdique toute prétention morale et précipite le monde vers le chaos.
Il est des vérités que les puissants refusent de voir, même quand elles s’imposent avec éclat. La guerre contre l’Iran a commencé. Fidèle à sa méthode, Washington avance masqué, mais reste partie prenante — directement ou par procuration — au chevet d’Israël, soutenant une escalade aux conséquences incalculables. Ni le droit, ni la raison, ni la mémoire des peuples humiliés ne semblent pouvoir l’arrêter.

Mais l’Iran n’est pas un simple acteur régional. C’est une civilisation millénaire, dotée d’une mémoire structurante et d’une fierté forgée dans l’épreuve. On peut frapper ses sites, tuer ses savants, infiltrer ses structures ; on ne déracine pas un peuple qui a survécu aux empires, ni ne lui impose un État étranger greffé de l’extérieur.

Cette agression, déjà à l’œuvre, ne fait que renforcer cette conscience nationale. On l’a vu face à Saddam Hussein. L’histoire pourrait se répéter. Ce nouveau conflit déborde l’Iran : il menace l’ensemble des équilibres régionaux, du détroit d’Ormuz à la Méditerranée. Les lignes se brouillent, les logiques de guerre reprennent le dessus. Non par fatalité, mais par calcul cynique et par réflexe d’impunité.

Ce recours à la confrontation révèle une fracture morale : celle d’un Occident prisonnier de ses soutiens. D’un côté, des dirigeants tétanisés par les lobbies pro-israéliens. De l’autre, une jeunesse — y compris juive — révoltée par les crimes de guerre à Gaza et par l’arrogance coloniale d’un État dont l’impunité défie le droit.

La contestation ne vient plus des marges. Elle traverse les clivages, gagne des figures d’autorité, ébranle le consensus. De Jeffrey Sachs à des dirigeants d’entreprises engagées ( Ben & Jerry’s), des voix s’élèvent — souvent à contre-courant — pour nommer ce que l’histoire retiendra : un génocide accompli à ciel ouvert, dans l’indifférence ou la complicité des puissants.

En s’alignant sur Israël, alors même que celui-ci mène une double guerre — contre Gaza qu’il écrase, contre l’Iran qu’il provoque — les États-Unis ne protègent pas leurs intérêts : ils les sacrifient. Munitions épuisées, crédibilité affaiblie, stratégie illisible : Washington s’enlise dans des guerres périphériques au moment même où le monde se redessine ailleurs.

Mais l’essentiel est moral. Ce n’est plus la peur ni la prudence qui guident la première puissance mondiale : c’est l’automatisme d’une dépendance assumée. Israël décide ; Washington exécute.

Qui a mentionné l’hôpital iranien bombardé il y a deux jours ? Ou les dizaines d’hôpitaux palestiniens méthodiquement rasés, dans une logique de destruction froide ? La presse occidentale détourne le regard, ou se tait, selon l’identité de la victime. Le Soroka Medical Center, ciblé par l’Iran, n’était pas un hôpital ordinaire : intégré à l’infrastructure militaire israélienne, il fonctionne comme site médical de guerre pour le personnel engagé dans les campagnes génocidaires de Gaza. Cette réalité, un temps visible sur Wikipédia, a été effacée — mais documentée ailleurs.

Ce brouillage moral s’accompagne d’une dérive institutionnelle. L’AIEA, autrefois garante du contrôle multilatéral, est devenue un instrument au service des stratégies occidentales. Déjà compromise dans le dossier irakien, elle répète aujourd’hui les mêmes travers dans le suivi du programme iranien. Sous l’apparence de la procédure, ce sont des intérêts politiques qui dictent la lecture des faits et minent la confiance dans la neutralité.

Deux poids, deux mesures : on s’indigne d’un missile tombé sur un hôpital lié à une armée d’occupation, mais on passe sous silence l’effacement systématique d’hôpitaux civils palestiniens. Ce n’est plus un biais, c’est une méthode.

Les États-Unis redeviennent ce qu’ils furent par moments : une puissance sans cap, instrumentalisée par des forces qui la dépassent. Un colosse dompté, traîné dans l’arène moyen-orientale comme un fauve dressé. Il ne s’agit plus de servitude — ce mot est encore trop noble. Il s’agit de domestication.

Washington n’est plus une capitale. C’est un théâtre. Le géant anglo-saxon, naguère héraut du monde libre, tourne à vide dans l’arène, sous le fouet d’un maître dont nul n’ose dire le nom — un maître qui ne cherche ni la paix ni la sécurité, mais la domination, fût-ce au prix du chaos global.

Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba est analyste politique et social, passionné par les dynamiques géopolitiques et les imaginaires postcoloniaux en Afrique et au Moyen-Orient. Ses articles ont été publiés dans Middle East Eye, The Palestine Chronicle, Third World Resurgence, Al Ahram Weekly, et Morocco News.
https://blogs.mediapart.fr/haibaus/blog/190625/vers-le-gouffre-israel-l-iran-et-l-effondrement-moral-de-l-occident
Photo LDM On google

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