Marges de vérité: “Gouverner, c’est prévoir”!

L’histoire de Nouakchott est une longue négociation avec l’élément le plus vital : l’eau. Dès sa fondation, la capitale a porté dans son berceau la marque d’un paradoxe : naître sur un littoral désertique, adossé à l’Atlantique, mais sans accès sûr ni constant à l’eau douce. Jusqu’en décembre 1973, la question du ravitaillement fut d’une gravité exceptionnelle, au point d’hypothéquer l’avenir même de la jeune capitale.
L’usine de dessalement mise en exploitation entre 1967 et 1972, encore expérimentale, avait dans un premier temps apaisé les angoisses. Mais les pannes récurrentes, les coûts prohibitifs — lourdement subventionnés sur un budget d’austérité extrême — et la croissance démographique alimentée par la grande sécheresse des années 1970 rendirent vite ses capacités dérisoires. Avant elle, Nouakchott tirait son eau de Rosso, à plus de deux cents kilomètres par une route alors en ruine, et d’Idini, à soixante kilomètres, par des pistes parmi les plus inaccessibles du pays. Sept à dix heures étaient nécessaires pour un simple aller-retour, avec des citernes qui s’usaient aussi vite que l’espoir des habitants.
En 1970, la population avait franchi le cap des cinquante mille habitants. Le temps pressait. Deux sociétés privées, française et allemande, proposèrent un projet d’adduction depuis Idini, soutenu par leurs gouvernements respectifs. Mais les coûts, ajoutés aux remboursements de l’usine de dessalement, étaient insupportables pour un État dont le budget annuel ne dépassait pas 6 milliards d’ouguiyas.
C’est dans ce contexte d’impasse qu’un geste diplomatique allait changer l’histoire. Vers la fin de 1970, lors d’un dîner, l’ambassadeur de la République populaire de Chine confia à Mohamed Ould Daddah et à Mohamed Aly Chérif, alors secrétaire général de la Présidence, que la situation de l’approvisionnement en potable à Nouakchott l’inquiétait. Mohamed Aly Chérif saisit immédiatement la portée de cette remarque et sollicita l’aide de Pékin. Malgré ses propres difficultés, la Chine étudia la question, mobilisa ses moyens humains et matériels, et lança un projet ambitieux. Le 3 décembre 1973, l’inauguration de la station d’Idini marqua un tournant : pour la première fois, Nouakchott disposait d’une infrastructure d’approvisionnement conçue pour ses besoins réels.
Cet épisode témoigne d’une génération visionnaire. Moktar Ould Daddah et ses équipes, malgré des moyens dérisoires, pensaient déjà à des solutions structurelles comme la dépression de l’Aftout Sahli. Gouverner, pour eux, c’était prévoir — anticiper sur plusieurs décennies les besoins vitaux d’une capitale qui n’atteignait pas encore cent mille âmes.
Après le coup d’État de 1978, le pays entra dans une ère où la médiocrité devint doctrine. Les programmes d’ajustement structurel, les financements concessionnels des fonds arabes et africains, ainsi que des centaines de millions de dollars de la Banque africaine de développement furent engloutis dans le secteur de l’eau. Mais au lieu d’un saut qualitatif, ce fut la spirale des détournements, des projets inachevés et de l’absence de planification. Pas même une nouvelle usine de dessalement n’a vu le jour, malgré un budget national aujourd’hui supérieur à 1 200 milliards d’ouguiyas, sans compter les apports massifs des bailleurs internationaux.
Aujourd’hui, Nouakchott dépasse le million d’habitants. La ville s’étend horizontalement, multipliant les défis d’adduction et de maintenance. La situation actuelle — coupures prolongées, absence de réserve stratégique, maintenance insuffisante — n’est pas une fatalité : c’est le résultat d’un court-termisme politique qui a remplacé la vision par l’improvisation.
Comme le rappelait Bay Pekha, « sans eau, on ne crée pas de peuple sur nos côtes ». Les Imraguen, derniers témoins d’une présence humaine pérenne sur le littoral mauritanien, disparaissent peu à peu, tandis que la mer reste pour nous une frontière au lieu d’être une ressource.
La jeune ministre de l’Hydraulique, en première ligne dans cette crise, porte aujourd’hui le poids d’un héritage lourd et d’un système qui cherche des coupables plutôt que des solutions. Mais la vérité est ailleurs : on paie aujourd’hui le prix des fautes d’hier. L’eau n’est pas qu’un service public ; elle est la condition même de la continuité de la capitale. Et gouverner, c’est précisément éviter que le robinet de la mémoire ne se ferme.
Mohamed Ould Echriv Echriv