Marge de vérité: Néma-Bassiknou- Fassala, la déroute!

Le rapport 2022-2023 de la Cour des comptes remis le mercredi au Chef de l’Etat dans son volet sur l’exécution du projet de la route Néma-Bassiknou- Fassala, long de 263,8 kilomètres, est un audit exhaustif de l’exécution financière et physique des projets publics financés sur ressources extérieures .
Entre les avenants successifs, les retards cumulés et la dilution des responsabilités, la Cour a décelé : la lente désagrégation du lien entre la planification et l’exécution.
Le retard, officiellement passé de quatre à vingt-quatre mois selon les lots , n’est pas seulement une donnée technique : il est la manifestation physique d’un désaccord entre la conception et la réalité. L’administration invoque l’augmentation des installations hydrauliques, la présence de réseaux d’eau et d’électricité, la météo, les obstacles topographiques — autant de variables que tout ingénieur conseil prudent aurait intégrées dans les études préalables. La Cour , rappelle que l’article 6 du cahier des clauses particulières présume l’entrepreneur « pleinement au courant » des circonstances du chantier. Mais le ministère réplique avec une argumentation technique : l’incertitude du terrain, dit-il, n’est pas toujours imputable à l’entrepreneur ; les réseaux ne se cartographient pas aisément dans une zone difficile ; les études hydrologiques ont dû être révisées en cours de route .
La Cour poursuit son diagnostic . L’impôt minimum forfaitaire de 10,9 millions MRU, non déduit des paiements à l’entrepreneur, révèle l’angle mort de la chaîne financière. Le ministère rejette la faute sur les services du Trésor, arguant que la retenue relève du système Rachad, hors de son contrôle .
Les manquements techniques ne sont pas moins révélateurs. Les pierres du tronçon 1, non conformes aux spécifications, les nids-de-poule et la couche d’asphalte insuffisante ont transformé la route en un ouvrage inauguré avant d’être consolidé, solide à l’œil et fragile au premier orage. La Cour, lucide, recommande une enquête technique pour déterminer les causes de cette dégradation, mais derrière la technicité du vocabulaire affleure une question éthique : qui répond de l’éphémère ?
L’absence de garanties décennales, pourtant stipulées par les clauses contractuelles, achève de dessiner le tableau d’une culture du court terme. La garantie de dix ans, censée incarner la responsabilité dans la durée, est réduite à une clause abstraite, oubliée dans les annexes. Le ministère plaide la distinction entre grands ouvrages et petites installations, mais ce glissement sémantique élude l’essentiel : l’entretien des infrastructures est le premier langage de la souveraineté. Ce que la route abandonne, la nation perd deux fois — en capital et en crédibilité.
Le rapport met aussi à nu les défaillances du suivi institutionnel. L’absence d’unité de gestion du projet UGP , pourtant prévue par les accords de financement, a vidé la supervision de sa substance. Les ingénieurs stagiaires ont remplacé les structures permanentes, et les bureaux de contrôle, tels que le SCET-RIM, ont multiplié des rapports incomplets, parfois trimestriels, parfois absents .
Les acquisitions du projet — véhicules, laboratoires, mobilier, équipements topographiques, puits — souffrent d’un même flou patrimonial. Aucune comptabilité distincte n’a été tenue, aucune réception formelle documentée. Des véhicules circulent sans affectation claire, des laboratoires sans inventaire, des puits sans eau. Ce dernier point, tragique dans sa symbolique, concentre le scandale : sur les 11 puits prévus, 7 sont restés fermés ou inexploitables . Certains ont été pris en charge par la Société nationale des eaux, d’autres par les habitants eux-mêmes, comme si le projet public se dissolvait dans le bricolage communautaire.
Le ministère répond en invoquant la contrainte contractuelle : les puits étaient prévus à prix unitaires, non forfaitaires ; leur équipement n’était pas budgété ; leur livraison dépendait des demandes explicites de l’ingénieur. La Cour, méthodique, démonte l’argument : les prix unitaires englobent les travaux exécutés selon les règles de l’art, donc les puits étaient inclus dans le champ des obligations. Autrement dit, la technicité du contrat ne saurait justifier la disparition de l’obligation morale.
Ce va-et-vient entre la Cour et l’Administration ressemble à un procès en différé entre deux visions de l’État : l’une normative, l’autre pragmatique. L’auditeur parle en principes, le gestionnaire en contraintes. Mais c’est dans cet entre-deux que se révèle la nature réelle de la gouvernance : une navigation permanente entre la lettre et l’improvisation.
À la fin, la Cour recommande huit mesures : rehausser le contrôle et le suivi, diligenter les études préliminaires, appliquer strictement les assurances, assurer la traçabilité comptable, prévenir la perte des équipements, harmoniser les avenants, et concevoir une véritable stratégie d’entretien.
Mohamed Ould Echriv Echriv