Tribune: Le labyrinthe administratif mauritanien

La semaine dernière, j’ai entamé auprès du ministère de la Pêche une démarche pourtant banale : le renouvellement d’une licence. Une procédure administrative ordinaire, encadrée par des textes, supposée être fluide, rationnelle et prévisible. Je me suis pourtant retrouvé plongé dans un véritable labyrinthe administratif, fait de circuits interminables, de bureaux qui se renvoient la responsabilité, d’instructions orales contradictoires, d’attentes sans justification et d’orientations floues. Une trajectoire sans issue claire, où l’usager avance à tâtons, sans repères ni garanties. C’est dans ce moment précis que le slogan si souvent brandi : « une administration proche du citoyen » m’est apparu pour ce qu’il est trop souvent : une formule creuse, déconnectée de la réalité vécue.
En Mauritanie, la distance entre l’administration et le citoyen n’est pas une perception isolée ni un ressenti personnel ; elle constitue une réalité quotidienne, profondément enracinée dans les pratiques, les comportements et l’organisation même de l’État. Cette distance, faite de lenteurs, d’opacité, d’indifférence parfois, et d’inaccessibilité souvent, engendre une frustration sociale diffuse mais profonde. Elle installe chez le citoyen le sentiment que ses droits ne sont pas garantis par la loi, mais conditionnés par sa capacité à naviguer dans l’informel, à contourner les obstacles ou à mobiliser des relais. Dès lors, l’accès à des services pourtant légitimes et légalement acquis ne relève plus du droit, mais de la débrouille, de l’intervention, de l’intercession, voire de la corruption.
Dans ce contexte, obtenir un simple document d’état civil ; acte de naissance, certificat de résidence, carte d’identité ; peut devenir un parcours d’épuisement et d’humiliation. Faute d’un accueil digne, de procédures claires et de délais respectés, le citoyen est poussé à « trouver quelqu’un », à solliciter un agent, un notable, un élu local, un parent influent ou un intermédiaire officieux. Ce qui devrait être automatique devient négociable ; ce qui relève de la norme juridique se transforme en faveur personnelle. Face à l’administration la plus élémentaire, l’individu se sent dépendant, vulnérable, parfois même redevable.
Cette logique s’étend bien au-delà des papiers administratifs. L’accès au foncier, aux terrains urbains ou ruraux, aux licences, aux autorisations d’exercer, obéit trop souvent à des circuits parallèles où la relation supplante la règle. Dans le domaine de la santé, l’hôpital public, censé incarner l’égalité devant le soin, devient un espace où l’intervention personnelle peut conditionner la qualité de l’accueil, la rapidité de la prise en charge, voire l’accès même aux soins. En matière d’éducation, l’inscription, l’orientation, l’affectation, et parfois même la réussite administrative exigent une forme d’« équilibration sociale », faite de recommandations, de médiations informelles ou de pressions silencieuses.
Cette situation n’est pas seulement injuste ; elle est profondément corrosive pour l’État. Elle érode la confiance publique, banalise la corruption, légitime le passe-droit et installe une culture de résignation dans laquelle le citoyen ne revendique plus ses droits, mais cherche des raccourcis. L’administration, au lieu d’être un pilier de l’ordre républicain, devient un obstacle à contourner. Plus elle est distante, plus elle fabrique de l’informel ; plus elle est opaque, plus elle nourrit les réseaux d’influence.
S’approcher réellement du citoyen, dans ces conditions, ne peut se réduire à un slogan, à une réforme de façade ou à une communication institutionnelle. C’est une rupture de fond qui s’impose : rupture avec une culture administrative qui confond autorité et froideur, pouvoir et éloignement. Une administration proche est une administration qui accueille, qui explique, qui respecte, qui traite tous les citoyens sur un pied d’égalité et qui garantit l’accès effectif aux droits sans conditions implicites. Tant que cette transformation ne sera pas engagée avec lucidité et courage, la frustration continuera de produire ses effets pervers, et le citoyen, faute de mieux, continuera à chercher ailleurs ce que l’État lui doit pourtant de plein droit.
Il est aujourd’hui indispensable que cette réalité soit regardée en face au plus haut sommet de l’État. Il revient au Président de la République et à son Premier ministre d’instruire clairement, fermement et sans ambiguïté l’ensemble des ministres, des administrations centrales et déconcentrées, afin que le principe d’une administration réellement proche du citoyen cesse d’être un slogan et devienne une pratique effective, mesurable et opposable. Cela suppose des instructions précises, des procédures simplifiées, des délais contraignants, un devoir d’accueil et de redevabilité, ainsi que des mécanismes de contrôle et de sanction en cas de manquements. Sans cette impulsion politique forte, incarnée et suivie d’effets concrets, l’administration continuera d’éloigner le citoyen, de nourrir la frustration et de pousser vers l’informel ce qui devrait relever du droit. Rendre l’administration accessible, juste et humaine n’est pas seulement une réforme technique : c’est un acte d’autorité républicaine et un impératif de confiance nationale.
Haroun Rabani
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