Mauritanie-Politique : A quoi ressemble le partage du pouvoir entre les régions en 2023?
Déséquilibrée et inéquitable telle parait, à l’aune de l’observation du gouvernement actuel, la répartition du pouvoir entre les régions. Une perception qui s’amplifie davantage au bas de la pyramide administrative…
La dernière formation du gouvernement remonte au 1er avril 2022. Elle est intervenue avant le remaniement partiel, du septembre 2022, et la seconde reconduction du premier Ministre, Mohamed Ould Billal. Mais comme au début de son règne, le président Ghazouani ne semble pas attaché à un changement radical des hommes. Un statu quo qui bénéficie à plusieurs personnalités entachées par leurs précédents de gestion des affaires publiques.
Déjà lors de la formation de son premier gouvernement de 23 membres, au lendemain de son élection, Ghazaouni y avait, à l’époque, à peine, introduit une dose de 8 nouveaux ministres. Tous les autres avaient servi sous différents régimes y compris celui dit de « la décennie Aziz » dont le régime actuel fustige pourtant et la gestion et le bilan.
Comme à l’accoutumée, la formation du gouvernement n’a pas dérogé à la recherche d’un subtile dosage régionale et ethnique. Ce qui n’a jamais été évident ou aisé pour tous les régimes. Mais force, cependant, est de constater que les nominations suscitées par la quête de la «qualité dans l’exécution des politiques publiques » du programme «Taahoudaty » ainsi que du « renforcement de la participation des jeunes » ne donnent pas satisfaction. Pire, parfois, l’on a l’impression que la concrétisation du programme présidentiel est retardée par ceux qui ont pour mission de la traduire sur le terrain.
Des ministres “clanisés”?
Le président Ghazouani est quelque part trahi par ses propres ministres qui jouissent pleinement de leurs prérogatives pour mener à bon port ses projets. Malgré un démarrage sur des chapeaux de roue, les mauvaises habitudes se sont vite installées. Et de fil en aiguille, l’action des ministres a trop vite été centrée sur des intérêts matériels et politiques personnels.
C’est, sans doute, pour cette raison que le président a fait appel à la cellule de suivi de l’exécution des priorités stratégiques (CSEPS) et procédé à plusieurs remaniements au sein du gouvernement pour corriger les dysfonctionnements de gestion de l’Etat et de ses projets.
Par ailleurs, les dosages observés dans la composition du gouvernement n’apportent pas toujours l’adhésion de l’opinion ; surtout s’agissant de ministres qui « ont déjà fait leur temps » ; une vieille garde qui ne veut rien lâcher et qui continue d’occuper les premières loges du pouvoir à contrecourant des appels au rajeunissement de la classe politique porté en étendard. Sur 32 ministres ou de rangs de ministres présents au sein de l’actuel gouvernement, la moitié a joui des hautes marches du pouvoir en accédant il y a plus de 10 ans à un poste ministériel. Certains y sont arrivés depuis la période Taya et sont encore là bien vivants ! Cette omniprésence dans la haute administration d’hommes et de femmes qui traversent tous les régimes et qui ne brillent pas forcément par leur génie est indubitablement liée à l’hégémonie de l’Etat profond ; celui qui, véritablement, fait et défait les nœuds.
En effet, cette longévité est expliquée dans l’opinion par le parrainage de mains occultes qui en récolteraient dividendes financiers et politiques. On dit de ce genre de ministres qu’ils seraient l’émanation de mentors dans la haute hiérarchie de l’Etat.
Le rejet par les populations de telles personnalités s’expliquerait aussi par le déficit de reconnaissance en ceux choisis. D’où l’expression sporadique d’un mal de représentativité. Ce favoritisme rejaillit inéluctable sur la perception d’une répartition inéquitable de représentativité entre les régions. Les paramètres de lecture ou d’analyse du partage du pouvoir entre les régions ne permettent cependant pas d’avoir –toujours- une opinion tranchée sur les véritables motivations ayant conduit au choix de ceux qui nous gouvernent. La révulsion dont ils font l’objet au sein de l’opinion risque, à termes, de dépeindre également sur la popularité du président de la République lui-même.
Comment donc se présente, sous cet angle, le partage du pouvoir via la représentation politique dans la superstructure ? Une tentative d’explication ou de cartographie du partage du pouvoir pourrait éclairer sur les mesures de correction idoines. Cette présentation du partage du pouvoir ne tient donc pas compte des postes de la haute administration (secrétaires généraux, conseillers, des ambassadeurs…) ou de l’administration centrale (directeurs) ou locale (gouverneurs et préfets) où la même logique de disparités entre les régions est encore plus exacerbée. Ce déséquilibre de représentation, même s’il semble parfois proportionnel au poids démographique (voir tableau démographique des régions) est donc plus marqué à la base de pyramide administrative où l’action des ministres perpétue, par des choix subjectifs, l’iniquité. C’est la seule raison, en dehors des concours, pour expliquer le profond ressentiment ; la frustration et la déception quant à l’égal accès aux emplois publics discrétionnaires ou non.
Le Hodh Echarghi, l’Assaba et le trarza en pointe!
A l’orée de nouvelles élections générales qui risquent, au regard des manifestations organisées ici et là, de dessiner une nouvelle carte politique très tribalisée, il est important déjà de mettre le doigt sur certaines discordances. La Mauritanie connait une importante sédentarisation +50% d’où le besoin de revoir les découpages administratifs.
A lecture de la liste du Gouvernement l’on constate que l’Assaba avec 5 moughataa et 360 249 habitants et dont est issu le président conserve ,avec six ministres sur 32 membres, la part du lion dans le partage du pouvoir. Le Hodh Charghi, quant à lui totalise 7 ministres. C’est le plus grand nombre de ministres pour la plus grande région de Mauritanie en termes démographiques, avec 478 464 habitants.
Le Trarza également compte 6 ministres alors qu’il compte 290 milles habitants donc moins que le Hodh Gharbi qui compte 313 681 habitants ou que le Ghidimagha avec 294 506 habitants. Quelque part donc la « logique » démographique n’est pas respectée. Le Brakna lui fait montre de 4 ministres mais qui ne sont pas représentatifs de ses 5 mougataas. Sur 32 ministres, par ailleurs, quatre régions seulement (Assaba, Hodh Echarghi, Trarza et Brakna) détiennent 24 ministres.
Le Hodh Gharbi qui est donc un important réservoir électoral, ne compte que 2 ministres comme le Gorgol. Ce dernier avec 358 027 habitants fait pourtant office de la 3ème région sur l’échiquier démographique.
L’Adrar 61 196 habitants et Dakhlet-Nouadhibou 138 526 habitants ont chacun deux ministres. Le Ghidimagha, le Tagant et le Tiris Zemmour n’ont chacun qu’un seul ministre. Mais le comble c’est la région de l’Inchiri qui ne compte aucun ministre dans la République. Est-ce en raison du contentieux avec l’ancien président Mohamed Ould Abdelaziz ?
Enfin dans ce constat, on peut noter qu’à elles seules, les trois régions de l’Est (Hodh Gharbi, Assaba et Hodh Charghi) détiennent 47% des commandes du pouvoir. Ce n’est certainement pas une surprise d’autant que ces régions constituent les traditionnels greniers électoraux. Pris seul, le Trarza, région de la vallée, fait lui aussi bonne figure dans ce gouvernement en relation avec son poids démographique et s’arroge 18% du pouvoir pendant que 17 % sont entre les mains des autres régions de cette même aire géographique (Brakna, Gorgol et Ghidimagha). En queue du peloton, on retrouve toujours les régions du Nord et le Tagant. Les 5 régions (Adrar, NDB, Tiris, Inchiri et Tagant) rassemblées font seulement 18%.
A 26 ans d’ancienneté, Mohamed Salem Merzough est le «Doyen » des vétérans
La longévité dans un gouvernement est-elle source d’expérience ou de léthargie ? La question mérite d’être posée lorsque l’on remarque que sur une liste d’un gouvernement de 32 membres, au moins 15 membres ont été appelés à jouer ce rôle, il y a plus de 10 ans maintenant. Certains ont en effet émargé au gouvernement depuis l’ère Taya, renversé en 2005 par feu le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Avec 26 ans d’ancienneté, comparativement aux autres membres du gouvernement actuel, Mohamed Salem Ould Merzough (1997) , actuel ministre des affaires étrangères, de la coopération et des mauritaniens de l’extérieur fait figure du doyen des ministres et n’est pas prêt de partir à la retraite.
Abdessalam Mohamed Saleh (1997), ministre du pétrole et des mines, lui a marqué l’histoire pour avoir été le seul ministre mauritanien, sous Maaouiya, à démissionner pour rester en phase avec son indépendance d’esprit. Ensuite viennent Naha Mint Mouknass (2001) devenue ministre au nom de son parti l’UDP et Mohamed Mahmoud Ould Boya (2003), ministre de la Justice, recruté ministre, il y a 19 ans maintenant. Sidi Mohamed Ould Taleb Amar (2004), ministre de l’hydraulique, il y a 19 ans, suivi par Mohamed Ali Sidi Mohamed (2005) DG Taazour, 18 ans, Mohamed Ould Mohamed Lemine (2005), ministre de l’intérieur 18 ans, Mohamed Lemine Ould Aboye, ministre de l’enseignement supérieur, 17 ans. La cascade continue avec Mohamed Ould Bilal (2007), Yahya Ould Ahmed Waghef (2007), Fatimetou Mint Khattri (2007), Moulaye Mohamed Laghdaf (2008), Lemrabott Ould Benahi (2008), Coumba Ba (2009), Ousmane Mamadou Kane (2010). Le benjamin de cette vieille-garde est Nani Ould Chrougha (2014), actuel ministre de l’équipement et des transports.
JD