Mauritanie : cette exception dans le Sahel
Brûlantes et mordorées, les dunes de Leklawa ondulent au gré des caresses du vent. Un désert unique, à couper le souffle, sans aucun doute un des plus beaux du monde. En foulant ce sable chaud, on comprend mieux pourquoi la Mauritanie et ses espaces dévorants d’humilité étaient les terrains de jeu préférés de l’écrivain Théodore Monod : « J’ai eu de la chance de rencontrer le désert, ce filtre, ce révélateur. Il m’a façonné, appris l’existence. Il ne ment pas. C’est pourquoi il faut l’aborder avec respect. »
Notre méharée épouse notre rythme, à pas mesurés, six dromadaires chargés d’eau et de victuailles. Seuls quelques pommiers de Sodome, la plante caractéristique du désert, viennent piqueter les étendues sableuses qui s’étirent à perte de vue.
Avant mon départ, j’avais pu lire l’incompréhension sur le visage de ceux à qui j’ai confié ma destination. Pourquoi un reportage en Mauritanie, dans cette zone si dangereuse, de surcroit épicentre du djihadisme ?
Rempart contre le terrorisme
La Mauritanie est un pays à part, qui se dit oublié sur la scène internationale, un pays qui prend à bras le corps des défis importants en matière d’éducation, de santé ou de terrorisme. Tous sont loin d’être relevés : la situation s’aggrave en matière de pauvreté, l’éducation n’est plus prioritaire, et le Covid a dégradé une situation sanitaire déjà alarmante. Mais ce petit pays discret a en revanche réussi une prouesse : celle de créer un rempart contre le terrorisme. Cette performance a d’ailleurs été mise en lumière lors de la réunion du G5 Sahel en février dernier à N’Djaména et intrigue de nombreux pays qui se réunissent à ce sommet.
La dissonance entre l’image de la Mauritanie et la situation sur place mérite que l’on s’attarde sur cette fameuse exception mauritanienne. Parce que le constat sur place est sans appel : nous avons parcouru des dizaines de kilomètres à pied depuis notre arrivée, et je constate que la sérénité et la quiétude habitent les espaces que nous traversons : ergs, palmeraies, villes, villages et oasis. D’ailleurs, pas un touriste à l’horizon. Le vol hebdomadaire qui nous a déposés à Atar – au beau milieu du pays –, il y a quelques jours, était à peine plein. Et pourtant, au début des années 2000, la Mauritanie était le paradis des marcheurs en quête de solitude. À l’époque, c’étaient quatre vols par semaine qui déversaient ces hédonistes sportifs et curieux. Le tourisme était un moteur de l’économie locale.
Jusqu’au coup de grâce. Le 24 décembre 2007, quatre touristes français sont tués à l’arme automatique en plein désert.
Ce pays aurait pu mourir à petit feu. Crever de ce terrorisme qui gangrène aujourd’hui la région. Mais c’est une tout autre voie qu’il a choisie. L’ancien président de la République au pouvoir entre 2009 et 2019 a su imaginer une stratégie globale et je constate que les Mauritaniens ont créé une solidarité autour de ce sujet. D’ailleurs, leur façon de faire bloc autour de cette cause est assez poignante et certainement un facteur de cohésion nationale.
Lorsqu’il prend les rênes du pays, Mohamed Ould Abdel Aziz profite de l’embellie économique du moment dû à un secteur minier en plein essor, et fait le choix de prioriser l’investissement dans la défense…sûrement au détriment d’autres budgets essentiels. Mais la menace est trop forte et les Mauritaniens ont été touchés en plein cœur par les attentats de fin 2007. C’est un ancien général, sa stratégie est huilée et s’insère dans un cadre juridique qui permet d’arrêter et de juger les terroristes.
L’armée plus attractive que les groupes djihadistes
Les militaires que j’ai interviewés sur place souhaitent garder l’anonymat. Mais ils sont unanimes : la pierre angulaire de ce miracle a été de revaloriser leur métier. La stratégie de celui qui restera dix ans au pouvoir est claire et limpide : l’armée doit devenir plus attractive que les groupes djihadistes. Première brique déployée : augmenter les budgets en matière de défense, et notamment les salaires des militaires pour les rendre plus attrayants. Ainsi, le budget de la défense est-il multiplié par quatre en dix ans, ce qui est considérable dans un pays où six personnes sur dix, selon l’Unicef, restent en situation de pauvreté. Dans les villages isolés que l’on traverse au milieu du désert, ni l’eau ni l’électricité ne sont courantes, les enfants y vivent souvent pieds nus et trop régulièrement au milieu des déchets. Certains villages sont carrément déserts, comme abandonnés précipitamment… Les habitants l’ont quitté en hâte parce que l’école a fermé. La pauvreté est désarmante, les budgets en matière d’éducation s’étiolent. L’argent est mis ailleurs. À tort ou à raison ?
En tout cas, la bascule financière sur la défense est visible : les forces terrestres sont désormais équipées de pick-up modernes et rapides ou de radars de surveillance qui surclassent ceux des djihadistes. Les routes sont surveillées par l’aérien, dès qu’un véhicule circule sans autorisation, il est immédiatement neutralisé. Et de nouvelles bases militaires sont installées le long des 2 200 kilomètres de frontière avec le Mali. La nouvelle base militaire de Lemreya est un exemple éloquent : située dans un triangle aux confins de la Mauritanie, du Mali et de l’Algérie, elle est, ironie de l’histoire, sur une zone désertique qui servait jadis de base arrière pour les groupes islamistes et les trafiquants… Lemreya est aujourd’hui le quartier général des GSI, les groupes spéciaux d’intervention.
Enfin, complément indispensable de ce dispositif : des contrôles systématiques aux frontières et des check-points à travers tout le pays. Nous n’avons parcouru qu’une soixantaine de kilomètres de route bitumée avant de nous enfoncer dans le désert et avons franchi trois check-points gardés par des militaires qui ont contrôlé nos autorisations de déplacement.
Idem côté océan Atlantique : le ministère de la Défense a investi dans des bateaux spécifiquement adaptés, des navires remis à neuf en Espagne ou en Chine pour patrouiller ses 754 kilomètres de côtes.
Ainsi, la qualité de vie des soldats via la revalorisation des salaires, la rénovation des casernes, les formations – des Français, notamment des membres des forces spéciales ou des Américains se rendent dans le pays – s’améliore. Mais le pari est encore plus réussi quand on observe que leur moral et l’estime de leur métier augmentent, levier de fidélisation.
Investissement conséquent dans les services de renseignements
Dernière corde à l’arc du ministère de la Défense : s’assurer un renseignement de qualité jusque dans les zones les plus reculées. La création d’unités méharistes de groupements nomades (GN) en fait partie. Sortes de gardiens du désert, ces militaires, vêtus en civil, se déplacent discrètement, uniquement à dos de dromadaire, ce qui leur offre la possibilité de quadriller des régions ultra enclavées.
Ces GN viennent en aide aux populations très pauvres, améliorent au passage leurs conditions de vie (alimentation, curage des puits…) et sont, indéniablement, une source de renseignement ultra précieuse pour l’armée. Une façon de traquer les djihadistes par le renseignement dans ces régions reculées et d’éviter la moindre infiltration dans la population mauritanienne.
Ismail Diawara, ancien fonctionnaire qui a fait ses études à l’étranger, nous guide dans ce désert envoûtant. Amoureux de son pays et fier de ce qu’il a mis en place, il rappelle que les GN sont nées de l’imagination des Français pendant la colonisation. Ce dernier me confie être « tout le temps aux aguets tout en se sentant en grande sécurité : aucune voiture ne peut s’aventurer aussi profondément dans le pays, elle serait immédiatement interceptée ». Une politique sécuritaire inclusive, mobilisatrice et basée sur la confiance.
Au même moment, Nouakchott engage la bataille des esprits
De façon concomitante, la Mauritanie a sensibilisé l’ensemble de la population. Des campagnes au risque terroriste ronronnent à la télévision ou à la radio. « Méfiez-vous des personnes qui vous semblent suspectes. Des infiltrés peuvent être parmi nous… » Et cela fonctionne.
À Atar, on me raconte l’histoire de cet enfant alpagué à la sortie de l’école par un Malien qui lui demande : « Où les touristes ont-ils l’habitude de se retrouver ? » Ultra sensibilisé à la question via les différentes campagnes qu’il a vu défiler sur son écran de télévision, l’enfant se rue à la gendarmerie et le suspect est arrêté sur le champ. En Mauritanie, la lutte contre le terrorisme est devenue l’affaire de tous.
La Mauritanie est jusqu’ici le seul exemple d’une victoire qui s’inscrit dans la durée contre les groupes armés terroristes dans la région. La preuve implacable de la résilience d’un pays du Sahel. Dommage que le procès de l’homme fort de cette stratégie s’ouvre en ce moment même à Nouakchott. L’ancien président mauritanien est accusé de corruption, blanchiment et détournements des biens publics.
Par notre envoyée spéciale en Mauritanie, Capucine Graby
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