Des pêcheurs sénégalais portent plainte contre les compagnies d’énergie pour manque de diligence dans le projet GTA
L’Association de pêcheurs artisans de la Langue de Barbarie de Saint-Louis, ainsi que l’ONG Lumière Synergie pour le Développement (LSD), ont déposé une plainte contre les multinationales British Petroleum (BP) et Kosmos Energy (KE) pour non-respect des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.
Les deux organisations accusent BP et KE de ne pas avoir fait preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains dans le cadre du développement du projet de gisement gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA) qui est à cheval sur les eaux territoriales sénégalo-mauritaniennes et constitue l’un des plus grands projets énergétiques d’Afrique. Elles soulignent les lacunes de l’étude d’impact environnemental de BP, jugée superficielle et incomplète, et l’absence d’implication auprès des communautés affectées, dont les moyens de subsistance dépendent de la pêche.
La pêche représente 3,2 % du PIB du Sénégal et 12 % du PIB de la région de Saint-Louis. Les communautés de pêche artisanale de la Langue de Barbarie, une mince péninsule de sable située à proximité de Saint-Louis, dénoncent le fait que BP et KE ont placé leur plateforme au-dessus d’un récif corallien qui abrite plusieurs de leurs espèces cibles, notamment la dorade, le pageot et le mérou. Elles dénoncent aussi le fait que la marine sénégalaise les a parfois contraintes à se tenir à plus de 6 km des installations alors que les compagnies leur avaient initialement dit de ne pas approcher à moins de 500 m de la plateforme pour leur sécurité. Pour finir, certains pêcheurs ont été menacés, sans compter les cas de destruction de matériel de pêche, dont la collision entre un navire de la marine et une pirogue en février 2023.
Les parties plaignantes soulignent également que, depuis le début du projet GTA, une campagne de recherche scientifique a permis de recueillir davantage d’informations sur les écosystèmes de la zone entourant le gisement gazier. Deux chaînes parallèles de récifs coralliens en eaux profondes s’étendent sur environ 400 km, à environ 50 miles nautiques (nm) des côtes de la Mauritanie et du Sénégal, et constituent un lieu de reproduction pour plusieurs espèces (voir la carte ci-dessous). Les plaignants notent également que les scientifiques ont tiré la sonnette d’alarme en Mauritanie concernant l’impact de la plateforme gazière offshore et du gazoduc sur les récifs coralliens en eaux profondes.
Le mur corallien à fond dur de Mauritanie, le projet GTA et les activités des chalutiers européens. Cliquez sur l’image pour voir en écran complet. Sources : IMROP, Mongabay, Rapport du CSC. Design par Esther Gonstalla.
Dans la plainte, LSD et l’association de pêcheurs citent les principes directeurs de l’OCDE qui invitent les entreprises à ne pas enfreindre les droits humains et à « éviter d’avoir, du fait de leurs propres activités, des impacts négatifs […] ou d’y contribuer, et prendre les mesures qu’imposent ces impacts lorsqu’ils se produisent ». Les entreprises doivent « s’engager de façon constructive auprès des parties prenantes concernées ou de leurs représentants mandatés dans le cadre de l’exercice du devoir de diligence et leur donner la possibilité de faire valoir leurs points de vue ». De plus, les principes directeurs ajoutent que « en cas de menaces de dommages graves ou irréversibles pour l’environnement » les sociétés devraient « ne pas invoquer l’absence de certitude ou de voies scientifiques absolues pour remettre à plus tard l’adoption de mesures efficaces par rapport aux coûts visant à prévenir ou minimiser ces dommages ».
La plainte a été déposée auprès des points de contact nationaux (PCN) pour la conduite responsable des entreprises du Royaume-Uni et des États-Unis, pays d’origine des entreprises. Ces PCN sont des agences établies par les gouvernements pour promouvoir les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales et qui traitent ce type de dossiers par le biais d’un mécanisme de réclamation non judiciaire. LSD et le collectif de pêcheurs attendent du PCN qu’il use de ses « bons offices pour contraindre » les entreprises à se conformer aux principes directeurs et à faire preuve de diligence
Source CAPE